Un village à l'heure coloniale : Draria, 1830-1962

Recension rédigée par Jean Nemo


Cet ouvrage a été inscrit pour la commission des prix au titre du prix Durand-Réville (qui récompense un ouvrage relatif aux effets de la colonisation). Il pourrait relever également du prix Lyautey (qui récompense un ouvrage relatif à l’Afrique du Nord, à l’Afrique subsaharienne et l’Océan Indien).

Cette auteure s’est spécialisée dans l’histoire de l’Afrique du Nord, des Juifs de la même Afrique du Nord, de ceux qui ont émigré hors de cette région. Toujours à propos de cette région, elle s’est également intéressée au tourisme.

Sa thèse, soutenue en 1996, était relative à « Une communauté toujours recommencée : population et institutions juives à Toulouse de 1950 à 1970 »

Rien d’étonnant donc au choix du sujet de cette monographie de « village » algérien en cent-trente ans de présence coloniale de la France. Ce d’autant plus, comme il est dit avec humour dès l’introduction, que le choix de ce « village », parmi tant d’autres possibles, fait référence à des repas de famille où les enfants, nés en Métropole, baillaient d’ennui à entendre évoqués par leurs aînés de précédentes générations les lieux algériens où ils avaient vécu.

Non pas à Draria même. Celui-ci s’était imposé car il avait connu les cent-trente-ans coloniaux et c’est l’un de ce qu’évoquaient les vénérables ancêtres. L’enfant devenue adulte et historienne, accessoirement guide touristique, n’a donc pas eu à lister ni à pointer au hasard les villages éligibles à une telle monographie.

Draria alors Kaddous fut établi en 1842 village de colonisation, viticole, dans la proche banlieue d’Alger. Toujours dans son introduction, l’auteure rappelle que la « vie quotidienne » et coloniale, la « banalité qui fait le fil de nos jours » a fait de la part de bien des historiens qui ont privilégié les temps de crise, mais « que se passait-il …quand il ne se passait « rien » ? Et que les gens vivaient cependant côte-à-côte ?

L’auteure ne se cache pas d’avoir, comme les siens, été très critique de la situation coloniale, elle s’efforcera de démontrer pourquoi dans son ouvrage.

En cinq chapitres, elle rappelle tout d’abord et en quelques mots le Fahs d’avant l’arrivée des Français, celui de la première commune de 1835, celui qui devint vite, après confiscations des terres indigènes (il est dit ici « autochtone »), la disparition de fait des deux ou trois cheiks traditionnels. Puis « l’invention d’un village de colonisation » (processus de recrutement de colons souvent venus de loin dans l’Hexagone, voire en Prusse)

Le second chapitre retrace la coexistence des Indigènes et des Colons, de 1840 au début des années 1850, colonisation souvent difficile sociologiquement, économiquement et administrativement alors que l’indigène est peu à peu relégué aux marges, non sans révoltes durement matées.

Dans le troisième chapitre, il couvre la période 1860-1914, se développent à la fois « viticulture et démocratie », des inégalités croissantes chez les colons, un encadrement renforcé « des populations autochtones », évidemment de plus en plus marginalisées et soumises.

Dans le quatrième chapitre, intitulé « L’entre-trois-guerres à Draria, 1914-1954 », sont examinés les répercussions de la Grande Guerre sur la vie locale, villageoise. Les Européens deviennent minoritaires, la vie politique locale se développe (accession difficile et contrariée des musulmans à la citoyenneté française, conséquences parmi les plus jeunes d’une scolarisation croissante…). Mais avec des réticences de plus en plus marquées du côté des Européens, des revendications insatisfaites du côté des élites musulmanes.

Le cinquième chapitre (1954-1962) décrit « un village en guerre », devenu banlieue d’Alger. La guerre commence et bat bientôt son-plain. Certains Européens commencent à préparer un futur départ, l’OAS complique le jeu, évidemment bon nombre de Musulmans, tiraillés entre eux, ceux qui pensent qu’une solution à l’amiable est possible et ceux qui n’hésitent pas à mener la guerre de libération… 

L’auteure note le très faible taux de mariages mixtes, qui selon elle témoigne « du refus d’un avenir partagé ».

Comme c’est toujours le cas, un village même devenu banlieue ne peut avoir qu’un poids très relatif dans l’histoire générale. Il la subit et l’influence peu.

Comme il se doit, l’appareil critique est d’excellente qualité.

L’intérêt de l’ouvrage est de rendre compte en détail, en monographie chronologique, de ces interférences inégalitaires. De ce point de vue, il mérite la lecture.