Les îles françaises de la mer des Indes de 1640 à 1810

Recension rédigée par Jean Martin


Ingénieur agronome, directeur de recherches à l’INRA, spécialisé dans la politique de protection des milieux forestiers, Gérard Buttoud est aussi historien, ayant fait preuve d’un intérêt particulier pour la colonisation française sous l’ancienne monarchie. On lui doit, entre autres ouvrages, une étude sur les premiers établissements au Gabon (Les rois de l’estuaire), une biographie de Mahé de La Bourdonnais et une autre du botaniste et horticulteur Pierre Poivre.

Il nous propose dans ces pages une histoire de la colonisation des îles françaises de l’Océan Indien : Bourbon, île de France, Rodrigues, Seychelles. Le plan retenu nous semble acceptable.

Dans un premier chapitre Gérard Buttoud évoque brièvement les visées françaises sur Madagascar alors désignée sous le nom d’île Dauphine et démontre que dès le règne de Louis XIV les marins français avaient renoncé à tout établissement d’envergure dans la Grande île, qui fut simplement effleurée (selon le terme employé par l’auteur) par la fondation de quelques modestes comptoirs sans grand intérêt (Fort Dauphin, Antongil, Sainte Marie). Un tableau p.34 donne les effectifs des Français à Madagascar de 1640 à 1810, qui furent toujours infimes. Cette île restait à conquérir, or elle n’offrait pas d’intérêt pour la route des Indes. Là était la véritable explication.

Dès le deuxième chapitre, Buttoud pose un problème majeur. Les îles inhabitées peuvent-elles être considérées comme « un choix par défaut » autrement dit les Français ont-ils été réduits nolens volens à installer leurs escales en des lieux qui n’intéressaient pas les autres puissances ? Force est de répondre par l’affirmative. Des Français qui avaient abandonné Fort-Dauphin commencèrent par s’établir à partir de 1649 dans l’île Mascarin que Flacourt rebaptisa île Bourbon. Les débuts de la colonisation furent très lents et en 1715, la population ne comptait encore que 1200 individus (650 libres et 550 esclaves) mais elle s’accrut ensuite très rapidement sous l’effet du développement de la production de café qui exigeait le recours à une importante main d’œuvre servile.

Le chapitre 3 ouvre le débat au sujet de la colonisation des îles : que faire de ces terres nouvellement acquises : des plantations ou des places marchandes ? Une rivalité allait se faire jour entre les îles et l’Inde française et surtout entre les deux îles elles-mêmes : Bourbon à vocation agricole puisqu’elle est dépourvue de port digne de ce nom, et l’île de France qui, grâce au Port-Louis présente un grand intérêt sur le plan mercantile mais aussi militaire. A la fin du siècle, l’Abbé Raynal insistait dans son Histoire philosophique et politique des Deux Indes sur l’interdépendance absolue qui existait entre Port-Louis et Pondichéry.

A partir du milieu du XVIII siècle, Pondichéry, ruinée par les assauts anglais, entrait dans une ère de torpeur et un irrémissible déclin : Port-Louis allait dès lors s’imposer comme la grande position française dans les mers du sud. Mais en dépit des efforts des intendants Poivre et Maillard-Dumesle, et des profits qu’elle pouvait tirer de l’économie de guerre, l’île pourvoyait tout juste au tiers de ses besoins alimentaires et la ville ne fut jamais le « Gibraltar de l’est » ni le « Calcutta des mers de l’Inde » auxquels certains se plaisaient à rêver… Cette situation est bien analysée au chapitre 4.

Le chapitre 5 nous rappelle opportunément que l’expansion française dans les Mascareignes ne se limitait pas à Bourbon et à l’île de France : la petite île Rodrigue avait reçu en 1691 la visite d’une poignée de huguenots du refuge conduits par François Leguat. Le séjour ne leur parut pas enchanteur, on manquait de femmes et ils n’y restèrent que 22 mois à l’issue desquels ils parvinrent à gagner l’île de France. Il fallut attendre 1725 pour que le gouverneur de Bourbon, Desforges-Boucher, fit procéder à une prise de possession officielle mais il n’y eut d’établissement permanent qu’à partir de 1750. L’île était de peu de ressources et on ne comptait encore en 1767 que 32 habitants (dont 16 malabars libres et 10 esclaves). Un événement notable dans ce minuscule établissement avait été en 1761 le séjour de l’abbé Pingré, astronome de l’académie des Sciences, venu observer le passage de Vénus devant le soleil. Les insulaires n’étaient pas plus d’une centaine au début du dix-neuvième siècle. La fourniture de légumes et surtout de chair de tortue aux navires de passage était leur principale ressource mais le cheptel de chéloniens s’amenuisait rapidement.

Les îles Seychelles furent reconnues en 1642 par la capitaine Lazare Picault, envoyé par La Bourdonnais, mais il n’y eut d’occupation effective qu’à partir de 1770 et là aussi les débuts de la colonisation furent très lents, mais ils s’accrurent à partir de 1785. Au début de 1787 l’archipel comptait 192 habitants (dont 158 esclaves). L’ingénieur des Ponts et Chaussées Louis Malavois en fut nommé  commandant en janvier 1789. Il fut en novembre 1790 remplacé par J.B. Quéau de Quinssy qui devait rester en poste sous le régime anglais.

Les trois derniers chapitres (6, 7 et 8) traitent essentiellement de l’esclavage aux îles et de la manière dont le décret d’abolition de la Convention (16 pluviôse an II) fut escamoté par les autorités locales de connivence avec les colons. La conclusion, intitulée « Le mirage des îles » (pp.179-185) nous laisse perplexe. Qu’allait-on faire aux Isles ? Elle nous ouvre assurément de multiples et fécondes pistes de réflexion.

Une relecture plus attentive eût sans doute permis d’éviter un certain nombre d’erreurs ou de fautes de français. Nous ne mentionnons que les plus évidentes :

- p 53 : le terme de boom pour désigner un essor, une expansion, est quand même à éviter.

- p. 66 : «  Le camp des Hollandais renommé le Port-Louis ». C’est le port nord-ouest (ex. Port Warwick) qui a été rebaptisé Port-Louis. Le camp des Hollandais (Port sud-est) est devenu le port Bourbon.

- p.78 : L’auteur de « l’histoire philosophique et politique des Deux Indes » se nomme Raynal et non Raynard.

- p.97 : « Des Huguenots exilés en Hollande par l’édit de Nantes ». Doit-on rappeler à un historien qu’ils ont été exilés à la suite de l’édit de Fontainebleau (1685) qui portait précisément révocation de l’édit de Nantes(1598) ?

- p. 98 : « débarquer à Bourbon en grandes pompes » Pour signifier avec solennité, en grand apparat, en grande pompe s’écrit au singulier. « de grandes pompes » a, dans la langue argotique ou familière, une tout autre signification. Or point n’était besoin de chausser du 48 pour débarquer à Bourbon !!!

- p.237 : (notice Quéau de Quinssy) Le futur Louis XVIII était comte de Provence et n’a jamais été duc de Provence.

En revanche, le lecteur appréciera l’appareil critique (tableaux du personnel, chronologies, notices biographiques, bibliographie détaillée) qui complètent heureusement cet ouvrage.