Le théâtre révolutionnaire afro-caribéen au XXe siècle : dramaturgies révolutionnaires et enjeux populaires

Recension rédigée par Jean Nemo


Ce livre se situe dans la droite ligne des encore rares publications et autres manifestations (colloques, entretiens…) de l’auteur. Comme il est indiqué dans les « Remerciements » en tête de l’ouvrage, il s’agit ici de la publication d’une thèse soutenue en 2014, laquelle portait le titre «Les théâtres afro-caribéens d’expression française au XXe siècle face à la Révolution de Saint-Domingue - Dramaturgies révolutionnaires et enjeux populaires ». Il n’est pas tout à fait clair de savoir la raison de la différence entre les titres, celui de la thèse et celui de l’ouvrage qui la reproduit. 

Laissons là ces interrogations de peu de portée et venons-en au fond.

Quelques mots d’abord sur l’auteur pour le situer. Maître de conférences, il enseigne à l’université des Antilles (pôle Martinique). Il appartient également à un Institut de recherche en études théâtrales rattaché à Paris Sorbonne. Il s’intéresse au théâtre caribéen du vingtième siècle (plutôt « qu’afro », ces « afro » n’apparaissant qu’une seule fois, sauf erreur de lecture), à la francophonie dans la Caraïbe et au Saint-Domingue du début du dix-neuvième siècle tel qu’on peut en parler en ce début de vingt-et-unième siècle. Antillais de langue maternelle française donc, sans doute aussi du parler créole martiniquais, il s’intéresse évidemment au théâtre en ce qu’il est porteur d’idéologies anticoloniales ou postcoloniales dans le courant du vingtième siècle.

En revanche, il est difficile de comprendre la quatrième de couverture lorsqu’elle affirme que « ces expressions théâtrales [celles du théâtre afro-caribéen] contribueront à définir un genre théâtral à part entière… ». Alors que presque tous les auteurs cités sont hexagonaux ou antillais français. Sauf s’il convient de considérer que les outre-mer français constituent une catégorie spécifique de francophonie, ce qu’ils peuvent bien être après tout.

De fait, sont évoqués un seul écrivain africain (Bernard Dadié) et deux haïtiens (Hennock Trouillot et Jean Métellus). 

La thèse rappelle tout d’abord, en trois chapitres, ce que fut la Révolution à Saint-Domingue, comment et sous quelles formes elle devint un « mythe fondateur », y compris aux USA, enfin comment le théâtre du vingtième siècle aux Caraïbes s’en empara.

Dans une seconde partie en trois chapitres, elle approfondit les conditions d’un « théâtre révolutionnaire » : invention, techniques d’écriture, public visé. Ici sont rappelées la filiation ou la similitude avec le théâtre populaire hexagonal, où tant le public que les thèmes comptent pour le comprendre. Elle décrit le choix des titres, la  structure de la pièce-récit. En conclusion, l’auteur tente d’établir, avec une argumentation à laquelle le lecteur sera sans doute sensible, la « mission » de ce théâtre « afro-caribéen » : « théâtres de la décolonisation, tragédies de l’émancipation… ». Il rappelle à ce sujet une anecdote significative, voire comique : des généraux et dignitaires africains, lors de la présentation de « La tragédie du roi Christophe » d’Aimé Césaire au premier festival à Dakar des Arts nègres (en 1966), quittèrent la salle : l’explication en serait qu’ils se reconnaissaient dans ce roi…par conséquent qu’ils avaient rompu avec leur communauté pour l’autoritarisme (euphémisme ici !) et ne pouvaient supporter d’être brocardés.

Dans la troisième partie, en trois chapitres, l’auteur rappelle que le théâtre ou la scène est un enjeu politique et social – analysant au passage le théâtre haïtien du dix-neuvième siècle comme précurseur – et précise pourquoi et comment le « théâtre révolutionnaire » permet une « émancipation symbolique ».

Dans sa conclusion générale, l’auteur rappelle le rôle fondateur de la tragédie de Césaire, rappelée ci-dessus, «La tragédie du roi Christophe » dans « Le théâtre révolutionnaire afro-caribéen au XXe siècle » : « Non seulement celle-ci représenta sur le plan scénique et des arts du spectacle l’acte d’affranchissement du théâtre noir de langue française mais de plus elle conférait à la scène francophone une orientation, un sens et une fonction spécifique ».

N’étant évidemment pas membre d’un jury de thèse de doctorat, le rédacteur de la présente note de lecture se gardera de porter un jugement sur la conformité de cet ouvrage aux règles établies pour soutenir une thèse. Il reconnaît cependant que sur des sujets qui lui étaient familiers – la guerre d’indépendance d’Haïti, les littératures des francophonies ultramarines et/ou françaises toujours aujourd’hui – il a appris des choses qu’il ignorait et a été convaincu par les argumentations et les angles d’approche de l’auteur. Par exemple de certaines spécificités du français créole des Antilles. En revanche, mais ce n’était pas l’objectif de l’auteur, il n’a pas bien compris dans quelle mesure ce « théâtre révolutionnaire » entraînait la mobilisation politique effective du spectateur.

Comme toute thèse reproduite intégralement en édition d’ouvrage imprimé, celui-ci exige de son lecteur une attention soutenue et si possible un carnet de notes à portée de main. Ceci n’est pas une réserve… sur le fond. Á ce lecteur potentiel de décider par lui-même si sa connaissance de certains domaines (par exemple le « théâtre révolutionnaire du vingtième siècle») et territoires de la francophonie (par exemple la Caraïbe) méritent d’être approfondis. Il trouvera ici matière et réflexion.