Les Prix 2020 de l'Académie

Nous sommes fiers de vous présenter les lauréats 2020 !

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Prix Durand-Réville

récompense un ouvrage traitant des divers aspects de la colonisation  

BRAEUNER, Hélène. Images du canal de Suez : une autre vision de l’Orient

Paris : Mare & Martin Arts, 2019

Cet ouvrage est issu d’une thèse. Ce n’est pas un livre d’images, bien que l’iconographie soit abondante. C’est une étude approfondie de l’histoire et de la signification des très nombreuses représentations qui ont marqué la construction du canal de Suez. Le texte dense et érudit de l’ouvrage rend compte de l’ensemble des modes de témoignages visuels du percement du canal, des bas-reliefs de Karnak aux affiches des films de l’époque contemporaine. La peinture, la statuaire, les plans et la photographie sont systématiquement envisagés au prisme d’une rigoureuse analyse historique, sans en dissimuler les aspects les plus controversés. L’auteur note par exemple le contraste entre les festivités de l’inauguration du canal en 1869 et le labeur exténuant des fellahs réquisitionnés, et met en correspondance le contenu artistique des diverses représentations et l’usage qui a pu en être fait à des fins politiques. L’académie estime que le travail scientifique de l’auteur, assorti d’une exigence esthétique élevée, mérite de se voir attribuer le prix Luc Durand-Réville 2020.

Hubert des Longchamps 

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Prix Albert Bernard

récompense un auteur ayant traité de l'Afrique et plus particulièrement de la Corne de l'Afrique  

COUTO, Mia. Les sables de l'empereur

Paris : Métailié, 2020

Mia Couto est descendant de ces dizaines de milliers de Portugais, très souvent nécessiteux, que sur sa fin, le régime fasciste de Salazar envoya dans ses colonies pour tenter de contrer les mouvements indépendantistes.

On rappellera que la plupart des colonies africaines portugaises n’accédèrent à l’indépendance qu’au milieu des années 1970, suite notamment à la révolution des œillets, pronunciamiento de militaires hostiles aux guerres coloniales.

D’autres colonies lointaines furent annexées d’office par de puissants voisins (l’Inde par exemple). Et, ce n’est pas la moindre remarque, une probable et remarquable invention verbale sans doute peu accessible dans la fort bonne traduction française mais que relèvent les critiques portugaises. Le récit se poursuit car tout ce monde voyage ou plutôt fuit, rejoint par d’autres fuyards, un prêtre, une aventurière italienne, une féticheuse…

Jean Nemo

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Prix de la Renaissance française

récompense un auteur ayant mis en valeur la langue, la littérature françaises ou la culture francophone, en France ou à l'étranger  

TCHAK, Sami. Les fables du moineau

Paris : Gallimard, 2020

C’est un peu un dialogue entre un nouveau petit prince, Aboubakar, le fils du boiteux forgeron, et l’oiseau. De quoi parler ? « De ces complexes rapports entre la vie et la mort ». Alors arrive la mémoire du village ou se succèdent petits et gros animaux, des termites et fourmis à l’antilope, au buffle ou au lion, et chaque fois on doit rappeler la loi : « l’essentiel est immuable », la route de la vie et de la mort se croisent, aussi bien pour les uns que pour les autres, dans ce monde où chacun doit se nourrir, soumis à « l’impératif du ventre », au détriment d’un autre ; et qui croit dominer n’est pas à l’abri. 

Y a-t-il une morale ? Ce n’est pas une leçon sur la société, mais il y a une méditation plus philosophique sur cet échange insoupçonné entre vie et mort, où toute symbolique peut voir surgir son contraire avec autant de véracité. Pourtant la méditation reste langage simple, destiné à être saisi par tous.

Dans un dernier chapitre on s’élève toutefois dans bien plus de mystère. C’est un monde d’imaginaire, de volcans sous les pieds. On retrouve « le paradoxe qui faisait côtoyer la grandeur et le sordide dans une même dimension ». La vraie lumière doit pourtant être trouvée, celle qui « touche tout le monde », et elle est prête à jaillir, dans un enfantement où l’écriture sauve imaginaire et mémoire. Mais il faut dépasser une séduction qui révèle la création fantastique d’un œuf au sein de la lave, avec des Pulcinella, marionnettes aux formes en gestation. Le danger est la mort, mais c’est elle qui engendre l’œuvre d’art face à l’oubli. Si mort il y a bien, après un partage et un sacrifice, les « cris du moineau » témoin sauront révéler toute cette histoire…

Guy Lavorel

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Prix Paul Bourdarie

récompense une oeuvre littéraire ou artistique ou médicale ou sociale ou d'intérêt général ou scientifique valorisant les qualités d'un pays du continent africain 

BIRMINGHAM, David. Histoire de l'Angola de 1820 à nos jours

Paris : Chandeigne, 2019

Les éditions Chandeigne sont sans doute peu connues du grand public : la raison en est qu’elles sont spécialisées dans la sphère lusophone, éditions d’ouvrages de littérature ou de recherche. Quant à l’auteur, bien qu’indubitablement britannique, il s’est spécialisé dans l’histoire de l’Angola après avoir enseigné dans des universités africaines, il a été professeur à l’université de Kent. Il est reconnu comme un excellent connaisseur de l’Afrique lusophone. Ouvrage donc fort complet, à recommander au lecteur peu familier du non « pré-carré », Comme le dit la quatrième de couverture : « C’est cette histoire méconnue de l’Angola….que sa propre expérience d’acteur politique engagé n’ayant pas peur des mots ».

Jean Nemo

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Prix Robert Cornevin ex-aequo

récompense un auteur ayant traité de l'histoire de l'Afrique  

ROCHE, Christian. Les résistances africaines aux conquêtes djihadistes et françaises du XiXème siècle

Paris : L'Harmattan, 2019

L’auteur fut coopérant, professeur de lycée au Sénégal et au Gabon. Il soutint une thèse de doctorat d’État en 1985 sur l’histoire de la Casamance. Puis il enseigna notamment à Lyon dans un lycée.  Il n’en reste pas moins que cet ouvrage apprendra beaucoup au lecteur dit « généraliste » et qu’il posera beaucoup de question à celui qui connaît à la fois l’histoire africaine et ses sociologies. Abondamment illustré, traitant à la fois des généralités et de nombreux acteurs de l’époque, Africains et Français, il suscitera de l’intérêt. Car il pose des questions à celui qui connaît bien l’histoire et la géographie. Il suggèrera au lecteur moins spécialiste l’envie de se plonger dans la lecture, non seulement de l’ouvrage, mais d’autres dont il est donné ici une courte mais bonne bibliographie.

Jean Nemo

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Prix Robert Cornevin ex-aequo

récompense un auteur ayant traité de l'histoire de l'Afrique  

ROYER, Patrick. La guerre en miroir : conquête coloniale et pacification au Soudan occidental

Paris : Indes savantes, 2019

La « Guerre en miroir »  propose une relecture stimulante de la conquête coloniale en Afrique occidentale, illustrée par le Soudan occidental. Patrick Royer l’aborde sous l’angle d’une anthropologie historique dont il met en exergue les composantes culturelles et politiques. Les réflexions sur la guerre servent de fil conducteur à une première partie qui montre comment celle-ci est pensée et conduite, tant par les conquérants français que par les guerriers des sociétés africaines. La deuxième partie, plus événementielle, déroule les épisodes militaires d’une conquête qui permit d’expérimenter les méthodes de pacification de Gallieni. Une troisième partie analyse les liens entre guerre et pacification. Elle interroge les rapports entre la guerre, le contrôle des territoires et la richesse des nations, élargissant l’exemple du Soudan à l’échelle mondiale. Trois biographies d’acteurs africains moins connus que les grandes figures d’El Hadj Oumar Tall ou Samory Touré, complètent un ouvrage très dense où les sources orales enrichissent avec pertinence les sources archivistiques.

Roland Pourtier

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Prix Paul Bouteiller

récompense un ouvrage traitant de l'histoire ou de l'évolution récente d'un départemeent ou territoire d'outre-mer français ou d'un Etat appartenant à la liste suivante : Algérie, Sénégal, Congo-Brazzaville, Gabon, Tchad, République Centrafricaine, Cameroun, Djibouti, Comores, Vanuatu.

FILIU, Jean-Pierre. Algérie, la nouvelle indépendance

Paris : Seuil, 2019

Jean-Pierre Filiu traite ici, comme c’est souvent le cas dans son abondante bibliographie, d’une question qui fit parfois mais peu souvent la une de nos médias français, les manifestations hebdomadaires qui ont animé pacifiquement nombre de villes algériennes.  Cette chronique quasiment au jour le jour de cette révolution pacifique se conclut par un chapitre intitulé « La promesse de la libération » : « Dans un cas comme dans l’autre, le formidable patriotisme du peuple algérien a fait mentir l’approche superficielle du rapport de force…Jamais la promesse de la libération n’a semblé aussi accessible en Algérie ».  Il était bon de rédiger cette chronique et les explications argumentées des évènements qui n’ont rencontré, de la part des médias occidentaux, qu’assez peu d’écho, encore moins d’attention.

Jean Nemo

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Prix Auguste Pavie

récompense un auteur ayant traité de l'Asie, de l'Indochine ou du Pacifique  

MOREAU, Odile. L'Empire ottoman au XiXème siècle

Paris : Armand Colin, 2020

Maîtresse de conférences HDR en histoire moderne et contemporaine à l’Université Paul Valéry Montpellier 3, membre de l’UMR 8538 du CNRS, Odile Moreau est connue comme l’une des meilleures spécialistes d’histoire sociale et culturelle du monde musulman méditerranéen. Elle nous livre, aux éditions Armand Colin, une très belle synthèse sur l’Empire ottoman au XIXe siècle. Il s’agit d’une longue période tumultueuse allant de 1774, point de départ de la question d’Orient, à 1923, date de la proclamation de la République de Turquie. Conçu comme un manuel d’enseignement supérieur, l’ouvrage en dépasse le propos. Jouant avec brio de la dialectique entre histoire interne et histoire des relations internationales, elle construit sa démonstration autour de la succession des tentatives de réforme, en soulignant l’importance de la question militaire (à partir du « Nouvel Ordre de Selim III de 1789 à 1808), l’effet d’émulation entre le centre et les provinces (Égypte de Muhammed Ali, Tunisie), le passage des soulèvements aux guerres nationales (Grèce, Serbie, puis Roumanie et Bulgarie, l’espoir ouvert avec les Tanzîmât, entre 1826 et 1856, le choc des guerres russo-ottomanes, les velléités constitutionnelles, le raidissement absolutiste sous Abdülhamid II, la révolution « Jeune Turque » de 1908, puis l’entrée en guerre au côté des puissances centrales, enfin la guerre d’indépendance et l’abolition du sultanat et du califat. L’ouvrage sera très utile par ses cartes et plans, son glossaire, ses notices biographiques, sa chronologie et sa bibliographie.

Dominique Barjot

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Prix Monsieur et Madame Louis Marin

récompense un auteur ayant traité des sciences humaines en général et particulièrement l'ethnologie, l'anthropologie et les relations entre les divers peuples du monde  

NOGUEIRA RAMOS, Martin. La foi des ancêtres : chrétiens et catholiques dans la société villageoise japonaise, XVIIe- XIXe siècle

Paris : CNRS, 2019

Si un livre méritait un prix de notre académie, c’est bien celui de Martin Nogeira Ramos intitulé « La Foi des ancêtres », publié aux éditions du CNRS en 2019. Enrichi par d’innombrables sources occidentales mais aussi japonaises, il apporte un éclairage très précieux, précis et nuancé sur l’histoire des premières chrétientés japonaises implantées à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe, sur leur insertion plus ou moins clandestine dans la société rurale japonaise, sur leur redécouverte par les missionnaires catholiques de la fin du XIXe siècle, puis leur réintégration plus ou moins aisée dans les structures internationales de la catholicité.  Loin de reproduire cette histoire telle qu’elle fut écrite par les seuls missionnaires, ce livre savant mais accessible qui mérite d’ores et déjà le qualificatif de classique est aussi fondateur dans la mesure où il ouvre sur des perspectives de recherche nouvelles.

Elisabeth Dufourcq

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Prix Robert Delavignette

récompense un auteur ayant traité de l'Amérique ou des Antilles  

ARNOLD, James Albert. La littéraire antillaise entre histoire et mémoire (1935-1995)

Paris : Classiques Garnier, 2020

La littérature antillaise se définit entre la négritude et la créolisation, non sans conflits et violences. Les deux premières parties montrent la « formation de l’imaginaire antillais ». C’est un dur contexte : le Code Noir et la flibuste, la « pariade ». L’auteur nous montre bien les images différentes et opposées offertes par les écrivains, selon un critère relevé par l’auteur, l’ethnoclasse. On trouve une théorie de la créolisation laissant entendre des situations conflictuelles, qui diffèrent des images lénifiantes sur les mélanges de civilisations et les mulâtres.

La deuxième partie fait découvrir le dilemme de la littérature antillaise : montrer les luttes de ces îles, avec l’évolution de la colonie au département, dans une présentation littéraire qui soit reçue par les lecteurs de l’Hexagone, aux dépens souvent de la totale vérité historique. La légende, voire le mythe s’installe aux côtés de la réalité. Et la langue créole face au français montre les enjeux. 

Comment alors sortir du dilemme ? C’est la question de la troisième partie. D’abord en voyant bien la triade « négritude, créolité, créolisation », et en distinguant leur réalité. La créolisation se tourne vers l’avenir, et c’est le message d’Edouard Glissant qui se détourne de l’Afrique mythique, source d’inspiration pour Césaire, pour miser sur la pluralité des Antilles Ensuite il faut voir combien cette créolisation s’inscrit au féminin en Guadeloupe, avec des productions plus féministes, comme celle de Maryse Condé. Mais tout reste un conflit entre mythe et tradition et ce besoin d’émancipation. 

En épilogue l’auteur s’interroge sur l’avenir de Régions monodépartementales, avec aussi des compromissions pour un avenir personnel, ne permettant pas de voir une unité et un sentiment national. Si on observe désormais des éditions antillaises, le processus donnant quelque autonomie littéraire propre aux Antillais ne semble pas encore se démarquer d’un attrait pour l’Hexagone et l’influence de la francophonie.

Guy Lavorel

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Prix d'Encouragement à la recherche de la Société des Amis

récompense des mémoires universitaires, thèses ou travaux postdoctoraux soutenus ou publiés l'année en cours ou l'année précédente  

DACCACHE, Georges El. La banque de Syire et du Liban, levier de développement ou instrument de l'impérialsimse français ? (1919-1945)

Thèse soutenue le 3 décembre 2019

L’histoire politique du Levant au XXème et XXIème siècle a fait l’objet d’un bon nombre de recherche et d’études. L’historiographie orientale (libanaise et syrienne), française, et même étrangère de l’époque ottomane jusqu’à l’époque post-mandataire en est le témoin. L’ouverture des archives, surtout françaises, a permis de révéler d’importantes informations sur l’histoire politique et militaire du Levant à cette période-ci. 

Mais du côté économique, il reste encore beaucoup à faire. Même si l’histoire économique de l’Empire ottoman a été largement traité, l’histoire économique levantine, surtout de l’époque mandataire et post- mandataire, n’a pas été jusqu’à ce jour le centre d’intérêt majeur des historiens et des économistes. À part quelques études timides et maigres en sources archivistiques, il n’existe pas une vraie démarche, ou même une volonté, de procéder à l’écriture d’une histoire économique du Levant, surtout à l’époque mandataire. 

Logiquement, l’histoire bancaire subit le même sort. Les économistes et historiens se sont plus intéressés à l’histoire monétaire. Ils ont négligé du coup l’histoire des institutions bancaires, levantines et étrangères, opérant au Levant à cette époque. Ce travail pourrait être classé au chœur des relations économiques franco-levantines.

                                                                                                                                         Jean Nemo

 

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