| Auteur | Patrick Olivelle ; traduit de l’anglais par Éric Auzoux ; préface de Vincent Eltschinger |
| Editeur | Les Belles Lettres |
| Date | 2025 |
| Pages | 391 |
| Sujets | Asóka (02..-0232 av. J.-C.) Philosophie Bouddhisme Rois et souverains Inde 4e siècle av. J.-C. Bouddhisme et politique Inde 4e siècle av. J.-C. |
| Cote | 69.709 |
Ashoka (268-231 av. J. C.) est probablement le plus grand souverain de l’histoire de l’Inde, célèbre dans toute l’Asie, au point de s’identifier au drapeau de l’Union Indienne contemporaine. Patrick Olivelle, né au Sri Lanka et diplômé d’Oxford, professeur émérite à l’Université d’Austin, est aujourd’hui l’un des meilleurs spécialistes mondiaux de la philologie et de la littérature sanskrite. Récipiendaire de nombreux prix, dont celui de la fondation Colette Caillat de l’Institut de France, il a consacré une remarquable étude à Ashoka, grâce à la belle traduction qu’Éric Auzoux a fait de son livre. Ce dernier a été enfin mis à disposition du public français grâce aux Belles Lettres. Patrick Olivelle y campe le portrait d’un empereur habile gouvernant, fervent bouddhiste et créateur d’une forme de religion civile fondée sur des principes moraux s’appliquant à tous, toutes confessions confondues, afin d’assurer l’unité et la pérennité d’un immense empire pluriel.
Ainsi que le rappelle Vincent Eltschinger dans sa préface, Ashoka, « l’empereur cher au cœur de tous les hommes », est devenu, grâce à Nehru, le symbole des valeurs de la République indienne ». Du fait, l’auteur brosse plus un portrait qu’une biographie. Ashoka apparaît ainsi comme « un roi philosophe, promoteur infatigable d’une éthique universaliste puisant dans un dharma inspiré du bouddhisme, fondée sur un ensemble d’instructions morales concrètes et visant à réunir l’ensemble de son peuple autour de valeurs prônant un pluralisme de droit ». Fidèle laïque du bouddhisme, Ashoka est aussi un combattant (campagne militaire au Kalinga) dont le règne est plus exceptionnel qu’exemplaire, comme le montre la violence de la dynastie Maurya. P. Olivelle rejette ainsi l’idée d’un opportunisme politique dans l’adhésion d’Ashoka au bouddhisme.
Il existe en effet de nombreux Ashoka, dûs à de multiples réappropriations, réinventions et récits nouveaux. La connaissance que nous en avons s’appuie sur de multiples sources : chroniques bouddhistes sri-lankaises (0 à +500 après J. C.), textes de tradition bouddhiste du nord (dont une très célèbre biographie du Ve siècle, traduite en chinois), sources brahmiques tardives, découvertes épigraphiques du XIXe siècle, adoption d’Ashoka par le mouvement de lutte pour l’indépendance. À la différence d’Alexandre le Grand, Ashoka ne bénéficie pas de biographies contemporaines. Il convient donc de tracer le portrait d’un homme tel qu’il émerge de ses propres écrits. Il porte probablement deux noms : il est à la fois Rājā (roi) et Ashoka (ami des dieux) et souvent qualifié de « beau à voir » ou « d’allure bienveillante ».
Afin de bâtir ce portrait, l’ouvrage s’articule en quatre parties, la première étudie Ashoka le roi : à la fois le plus brillant de la dynastie Maurya (Chapitre 1), souverain (Chapitre 2), écrivain (Chapitre 3) et bâtisseur (Chapitre 4). La deuxième partie s’intéresse à Ashoka le bouddhiste, soucieux d’approfondir sa foi (Chapitre 5), d’exhorter le sangha (ou vie monastique), de l’instruire et d’admonester en son nom (Chapitre 6). Son bouddhisme cherche aussi à répandre la foi. La troisième partie traite du dharma (la loi). L’auteur rappelle que le dharma préexiste à Ashoka (Chapitre 8), que ce dernier, en s’y identifiant se pose en philosophe moral (Chapitre 9). Il se montre à la fois préoccupé de promouvoir le dharma par l’écriture et d’y soumettre à la fois gouvernance et diplomatie. La quatrième et dernière décrit un Ashoka œcuméniste, attaché à la diversité des religions (Chapitre 11), aux dimensions populaires (Chapitre 12) et au respect d’une forme authentique de laïcité (Chapitre 13).
L’épilogue s’interroge sur le legs d’Ashoka. Certes, il créa un empire de courte durée (137 ans seulement), car il n’eut pas d’héritier à sa hauteur. Mais il a été révoqué (oublié aussi) par les bouddhistes et les brahmanes. Leurs visions diffèrent : les secondes veulent montrer que le roi leur a été dévoué. Au contraire, les souverains bouddhistes en ont fait un modèle, à l’instar du roi Kushan Kanishka (127-150 après J. C.), ou, plus tard encore, en Chine, de l’empereur Wu au VIe siècle après J. C.
Si sa figure s’est particulièrement imposée à Ceylan, il a aussi inspiré la politique de l’empereur moghol Akbar (1542-1605) : ce dernier mit en œuvre ainsi la religion de Dieu qu’il plaçait au-dessous de l’islam, de l’hindouisme, du christianisme et même du bouddhisme. Sa mémoire perdure en particulier dans les pays bouddhistes, mais aussi en Inde où le lion d’Ashoka, omniprésent dans le pays, témoigne de la volonté étatique de soutenir l’égalité de toutes les religions. L’ouvrage s’achève sur un relevé exhaustif des inscriptions d’Ashoka (édits sur rochers ou sur piliers écrits en sanskrit, en grec ou en araméen), un glossaire utile, une bibliographie considérable dont P. Olivelle réalise une synthèse remarquable, un très utile index. L’ouvrage mérite à l’évidence un prix.