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Profession explorateur : Alfred Grandidier, 1836-1921

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Recension rédigée par Yves Boulvert


            On s’attend dans cet ouvrage à une description clinique de la vie, des itinéraires, des recherches et des publications d’Alfred Grandidier, spécialiste reconnu de Madagascar. L’auteure s’est plutôt attachée à l’envers du décor, au contexte de cette période charnière qui voit les voyages terrestres succéder aux expéditions maritimes du XVIIIe siècle. Le voyageur naturaliste fait place à l’explorateur scientifique dans ce contexte d’expansion coloniale de la fin du XIXe.

            Retenu comme modèle d’explorateur, Alfred Grandidier apparaît plutôt comme un cas particulier. Son père fortuné confie à des précepteurs son initiation aux sciences, aux langues étrangères et aux voyages. Après l’Europe, il réalise en compagnie de son frère Ernest, un grand périple américain (1857-1859) du Québec à Valparaiso. En 1862-1866, envisageant d’explorer le Tibet, il part en voyage d’études aux Indes, alors britanniques, mais les fièvres paludéennes l’obligent à gagner l’île de la Réunion. En 1865, un premier voyage à Madagascar lui révèle l’ampleur des découvertes possibles sur la flore et la faune en raison de l’endémisme du milieu. Il va désormais y consacrer tous ses efforts, dressant la topographie à partir de transects variés.

La guerre franco-allemande de 1870 le fait rentrer définitivement en métropole. Il y entreprend la formidable aventure de L’Histoire physique, naturelle et politique de Madagascar  (près de 30 volumes parus). Il pressent que Madagascar se rattache à l’Asie beaucoup plus qu’à l’Afrique. Recherchant une position dans la Société, il accède aux sociétés savantes : Académie des Sciences, Société de Géographie, Muséum ... Il apparaît au cœur d’un réseau scientifique sur la grande île, cultivant ses relations sur place, servant de mentor pour les jeunes explorateurs, notamment son fils Guillaume (un des membres fondateurs de notre Académie) qui sera son successeur. La colonisation s’installe en 1895-96, mais il a sa vision propre. Il faut supprimer l’hégémonie des Mérinas sur les peuples côtiers, adapter la colonisation aux peuples locaux mais surtout ne pas faire de colonie de peuplement qui détruirait le milieu. Alfred Grandidier peut être considéré comme l’un des hommes à l’origine du développement spécifique des sciences dites coloniales.

            Adaptation d’une thèse, cet ouvrage savant et dense (publié en caractères fins !) fournira matière à discussion.

            Juste une remarque (p. 241), C. Maistre avait raté l’oral de l’Ecole navale avant de partir pour Madagascar, puis d’être le premier, en 1892-1893, à relier les trois grands bassins africains : Congo Oubangui, Chari Logone, puis Bénoué Niger.               

            Cet ouvrage universitaire, très documenté, nous invite à découvrir une personnalité érudite, curieuse et polyglotte, grand voyageur pour l‘époque, référence incontournable de Madagascar.