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Libres enfants de Dieu

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Recension rédigée par Christian Lochon


Métropolite Emmanuel représenta en France le Patriarcat Œcuménique de Constantinople. Les Mémoires qu’il nous offre constituent une intéressante plongée sur l’universalité orthodoxe de 300 millions de chrétiens et, ce qui est moins connu, sur les essais de mainmise de l'Église de Moscou vassalisée au pouvoir russe, sur les Églises orthodoxes sœurs (p.171).

Ce Prélat polyglotte est né en Crête en 1959 (p.19). Cette île grecque fut occupée de 1210 à 1669 par la République de Venise, puis jusqu'en 1913 par les Turcs. En 1923, le siège métropolite fut rétabli en Crête (p.14). Adolescent, Mgr. Emmanuel avait été offusqué de ce qu’un prêtre orthodoxe refuse la communion à un catholique dans une église crétoise (23). En 1979, il entame un cursus universitaire à Paris, étudiant la théologie à l’Institut Saint-Serge et à l’Institut supérieur d’études œcuméniques, la philosophie à l’Institut Catholique, l’histoire à l’École Pratique des Hautes Études, la science des religions à la Sorbonne (p.17). La soutenance de son doctorat consacré à l’œuvre du Patriarche Orthodoxe d’Alexandrie puis de Constantinople, le Crétois Cyrille Loukaris, tué par les Janissaires au début du XVIIe siècle (p.40) et qui sera canonisé en 2021, se déroula dans la cellule du Père Congar, futur Cardinal, au couvent dominicain Saint-Jacques (p. 43). En 1986, il complètera son parcours théologique au Collège Holy Cross de Boston, fondé en 1937 par le futur Patriarche Athenagoras. Ce lieu académique fonctionnait comme un centre de formation pour les futurs cadres de l’Église orthodoxe (p.67).

Il fut d’abord nommé au Centre stavropégiaque de Chambésy situé sur le Lac Léman, également siège du Métropolite de Suisse (p.49), puis affecté comme Vicaire Général à Bruxelles auprès du Métropolite Pantaléion, Exarque patriarcal pour le Bénélux qui lui confia des charges pastorales et éducatives. Il y sera également nommé directeur du Bureau de l’Église orthodoxe auprès de l’Union Européenne et il le demeurera jusqu’en 2014 (p.84). En 2003, il est élu Métropolite à Paris (p.91), devenant Président de l’Assemblée des Evêques orthodoxes de France. Cette fonction permettra de faire bénéficier l’orthodoxie des avantages de la laïcité et de parler d’une seule voix dans les dialogues entamés avec les représentants des autres confessions chrétiennes, particulièrement le cardinal Lustiger et le pasteur Jean-Arnold de Clermont (p.96). Il soulignera la richesse du dialogue interreligieux avec le Grand Rabbin René Sirat et le Docteur Dalil Boubakeur, Recteur de la Grande Mosquée de Paris (p.99). Entre temps, il aura obtenu la nationalité française (p.93). Appelé à Constantinople, le Patriarche Bartholomé le nomme Evêque de Chalcédoine pour le dialogue avec les Églises orientales, le judaïsme et l’islam (p.127). Il lui est confié la charge de faire participer le plus grand nombre d’Églises autocéphales aux dialogues interreligieux afin que l’orthodoxie se montre rassemblée dans l’unité (p.128). Ainsi, se tint en 2022, à Vienne, la 11e Consultation entre le Trône œcuménique et le Jewish Committee for Interreligious Consultation (UCIC) pour le 45e anniversaire de cette coopération. Y assistaient des évêques d’Alexandrie, de Jérusalem, de Grèce, de Serbie, de Roumanie, de Bulgarie, de Géorgie, d’Ukraine, à l’exception de la Russie condamnée pour son invasion de l’Ukraine (p.132).

Évoquant son expérience de responsable religieux, le Métropolite Emmanuel regrette que chaque nouvel État balkanique ait voulu une Église nationale (p.63), que les délégations orthodoxes soient devenues gouvernementales (p.87), qu’alors que l'Église orthodoxe n'a pas cessé d'être missionnaire, les fatalités de l'histoire aient forcé les Églises orientales au repli (p.115). Pourtant, proclame-t-il, la démarche interreligieuse a pour vertu première la gratuité hors de laquelle il n'est pas de découverte de l'altérité (p.135). Il nous dévoile également la lutte que se livrent les Patriarcats de Constantinople et de Moscou. Depuis 1996, l'Estonie, l'Ukraine, la Lituanie, le Kazakhstan se sont tournés vers Constantinople (p.157), dont l’ancienneté avec ses 270 Patriarches l’emporte sur celle de Moscou qui n’en aura eu que 26 (p.170). En Ukraine, Kyiv s’est détaché du Patriarcat de Moscou en 2018 à la demande du Président Porochenko (p.219). L'Église d'Ukraine proclama alors Noël le 25 décembre (p.275) et intronisa en 2019 le Métropolite Epifeniy (p.295). En vue de la tenue d’un Grand Concile Panorthodoxe prévu en Crête en 2016, Moscou avait multiplié les obstacles (p.170) au moyen de manœuvres soutenues par les Patriarcats de Bulgarie, d’Antioche, de Géorgie (p.181) du fait que la Russie avait exercé la mainmise de l'État sur l'Église (p.195), dirigée par le Patriarche Kyrill, dépravé et déréglé (p.279).

Ailleurs, à Jérusalem, déjà les pouvoirs tsaristes puis soviétiques y avaient étendu leur influence (p.262). Le président Poutine reformata l’ancienne Mission en Terre Sainte en la faisant financer par la nouvelle oligarchie, le Kremlin disposant de l‘importante communauté russophone en Israël (p.262). Le Patriarcat de Moscou veut créer des exarchats orthodoxes en Europe, aux États-Unis, en Asie du Sud-Est (p.265) pour concurrencer ceux du Patriarcat de Constantinople. Il en est ainsi en France,des trois cathédrales orthodoxes de Biarritz, de Paris et de Nice, édifiées au XIXe siècle, pour célébrer l'unité franco-russe (p.261). A Paris, Kyrill inaugura sur l’ancien siège de la Météo la Cathédrale de la Trinité dont le coût s’est monté à 170 millions d'euros (p.267). De même, en Afrique, la Russie s’est attaquée au Patriarcat orthodoxe d'Alexandrie en créant l'exarchat patriarcal d'Afrique (p.272) qui sert d’antenne à l'anti-occidentalisme (p.272).