Auteur | Christina Jialin Wu |
Editeur | Les Presses de Sciences Po |
Date | 2024 |
Pages | 310 |
Sujets | Scouts Malaisie occidentale 20e siècle Jeunesse Malaisie occidentale 20e siècle Colonies britanniques Asie 20e siècle Malaisie occidentale Influence coloniale 20e siècle Mondialisation culturelle Malaisie 20e siècle |
Cote | 68.551 |
Depuis leur établissement dans l’archipel malais, le scoutisme et le guidisme ont été une plate-forme de rencontre et d’échange en Malaisie britannique entre colonisateur et colonisé, Occident et Orient, indigène et immigrant (p.10). En 1948, les onze États de la péninsule malaise, sauf l’île de Singapour, formèrent la Fédération de Malaisie, qui devint indépendante et membre du Commonwealth (p.35). Les dirigeants de la Malaisie indépendante et de Singapour s’approprièrent le scoutisme et le guidisme afin de réaliser leurs propres dessins nationaux et de construire les nouveaux citoyens de leurs États (p.13). Madame Jialin Wu, maîtresse de conférences à l’Université Paris I, mesure dans ce livre l’impact considérable du scoutisme qui comptait 40 000 membres et du guidisme qui en comptait 6000 en 1956 (p.258) dans la structuration de la jeunesse de la Malaisie britannique entre 1910 et 1966 puis après l’indépendance (p.20).
Le modèle d’inspiration de Baden-Powell, créateur du scoutisme, est le système des Public Schools britanniques, où la méthode éducative mise sur le sport et la technique du jeu comme moyens idéaux pour forger le caractère des enfants (p.52). Les deux idées fondamentales du Mouvement sont la vie en plein air et le rôle de l’enfant comme enjeu crucial de la régénération de la société (p.59). Parmi les différentes cultures non occidentales citées par Baden Powell comme modèles d’inspiration pour les scouts, figurent les Africains et les Amérindiens pour restaurer la virilité (p.62). Le scoutisme est une opportunité pour le garçon de la classe ouvrière de se forger un esprit viril au bénéfice de la nation comme l’élève des Public Schools et le garçon africain des races martiales (p.70). Pour ce qui est du guidisme, Baden Powell aidé par sa sœur Agnès, estimait que son objectif principal devait être de former de meilleures mères et des guides pour les générations suivantes (p.84).
Créé en 1907, le mouvement scout a gagné la Malaisie britannique dès 1910 (p.21). Son développement fut hétérogène et largement confiné aux espaces urbains (p.35). Les premiers scouts et guides officiels de la Malaisie étaient issus d’écoles anglophones telles que la Victoria Institution et laMethodist Girls’ School de Kuala Lumpur (p.38). De 1910 à 1965, 95% des chefs de troupes auront été des enseignants (p.117). Le scoutisme dans les écoles chinoises et indiennes est lancé après 1965 (p.39). Scoutisme et guidisme encouragèrent activement la formation d’une fraternité/sororité en Malaisie (p.93) reconnaissables dans l’uniforme stylisé (p.94). Cet uniforme scout et guide permit aux Malayens de gravir les échelons de la société coloniale (p.124). Être membre des mouvements scout et guide procurait en effet des privilèges comme la possibilité d’accéder à certains emplois (p.132). Chaque scout ou guide, quelles que soient sa religion ou son ethnie, pouvait recevoir un uniforme gratuitement. L’uniforme devint donc le dénominateur commun de tous les membres de ces mouvements de jeunesse sans distinction sociale (p.134). Cependant, le port de l’uniforme pouvait être source à la fois de fierté et de malaise, pour les scouts et les guides qui, de ce fait, appartenaient à des organisations élitistes dans un contexte colonial qui leur imposait un certain standard de vie (p.144). Cet uniforme pouvait être étranger aux normes culturelles des peuples colonisés comme le short pour les Indiens qui doivent couvrir leur corps du cou aux chevilles (p.147). Le chapeau scout en feutre, les chaussettes en laine et le foulard autour du cou ne sont pas compatibles avec le climat chaud et humide (p148). D’autre part, la difficulté d’organiser des camps en plein air vient du nombre d’insectes et d’animaux dangereux qui rendent imprévisible leur tenue dans la jungle trop dense (p.229). D’autre part, la conception de l’enfance est différente chez les Malayens qui considèrent le garçon comme « un homme à échelle réduite » pouvant prendre part à la production économique (p.156). Sur un autre plan, pour éviter que des scouts trouvent certaines activités infantilisantes, les responsables encouragèrent de pratiquer des hobbies comme la photographie (p.171) ou la philatélie (p.172). L’image du scoutisme comme un mouvement de jeunesse façonnant de bons enfants loyaux le conduisit également à devenir un instrument de combat contre la délinquance juvénile (p.295)
Les Britanniques introduisent le guidisme en Malaisie en 1917 (p.22). Comme les Malayens considèrent la fille pubère comme adulte et mariable (p.156), les dirigeantes guides prirent soin d’enseigner « les idées des guides sur la féminité et les qualités supérieures de la femme » (p.186). Apprendre à balayer, à faire le ménage, à laver des vêtements firent partie de la formation et firent attribuer des badges de compétence (p.193). Les sultans malais qui assuraient le contrôle sur les affaires religieuses et sociales (p.32) jouèrent un rôle important dans le développement du guidisme (p.37). Grâce au soutien royal, des parents malais finirent par accepter le guidisme comme une activité légitime pour leurs filles (p.189). Les aspects positifs du guidisme inspirèrent les femmes des élites à assumer des responsabilités au sein du mouvement. Les guides se virent comme des précurseurs d’un nouveau féminisme dans la colonie (p.203) ; la liberté offerte par le guidisme constitua leur plus importante motivation (p.206). En 1966, au défilé de la première fête nationale de Singapour, les scouts et les guides prirent la tête du contingent de la jeunesse. Aux yeux des nouveaux dirigeants, leur présence était vue comme la promesse de la jeunesse à prendre sa part dans la création du nouvel État-Nation (p.299).
Le scoutisme malais fut, malgré lui, impliqué dans la politique. Dès les années 1920, certains colons en Malaisie estimaient que le « scoutisme était le meilleur antidote au bolchevisme » (p.261) tandis que les communistes voyaient le scoutisme comme l’un des outils de l’éducation d’asservissement des Britanniques (p.270). Comme les écoles chinoises formaient des patriotes à l’égard de la Chine (p.275), le développement du communisme devait donner naissance à une jeunesse opposée aux idéaux scouts et guides (p.279). De nouvelles troupes scoutes furent alors implantées dans les camps de regroupement des réfugiés des zones de guerre (p.292). En 1952, Lady Templer, épouse du Haut-Commissaire, en tant que Présidente des Guides, déclara que le guidisme dissuadait les femmes malaises de tout soutien aux insurgés anticoloniaux et leur apprenait la nutrition, l’artisanat et les compétences organisationnelles (p.267).
La population malaise étant musulmane, les Mohamedan Troops participèrent très activement au scoutisme et au guidisme (p.40). Il est frappant de constater également que l’Indonésie voisine, premier État musulman avec ses 253 millions d’habitants, compte le plus fort contingent de scouts dans le monde, soit 21 millions sur un total général de 30 millions (p.304).
Les archives orales recueillies livrent une vision positive du scoutisme et du guidisme et les présentent comme un réel instrument de promotion sociale, voire, dans le cadre des jeunes filles, comme une source d’émancipation (p.29).
Depuis leur implantation en Malaisie, le scoutisme et le guidisme ont donc joué un rôle important dans l’histoire de la colonie (p.301). Le scoutisme en Malaisie aura servi de premier point de contact entre les Malayans et d’autres cultures étrangères (p.248) ou indigènes en absorbant des éléments de ces tribus primitives perçus comme des qualités essentiellement masculines (p.249).
Pour Carey Watt, les nationalistes indiens utilisèrent le scoutisme pour transmuter la condition physique et l’endurance parmi les critères de définition et d’attente envers le citoyen moderne. Cette flexibilité des préceptes du scoutisme permit aux coloniaux et aux colonisés d’y adhérer. Appréhender les mouvements scout et guide en Malaisie britannique aura permis de réfléchir sur la circulation des idées et des modèles de l’universel au local, à l’ère globale et à la paradoxale dualité du scoutisme et du guidisme (p.305).