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La dimension religieuse de la guerre d'Algérie (1954-1962) : prémices et conséquences

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Recension rédigée par Jean-Pierre Faure


Roger Vétillard est né à Sétif en 1944 ; il a quitté l’Algérie en 1962. Il a été médecin et a entrepris à partir de 2008 une série d’études sur les massacres commis en 1945 dans sa ville natale puis en 1955 à El Alia, poursuivant une réflexion sur la nature de la guerre en Algérie tant entre 1954 et 1962 et lors de la décennie noire de 1991 à 2002 avec une rigueur et une objectivité toute professionnelle. Il s’agit pour lui de se dégager d’une vision idéologique anticolonialiste marxiste ou antimarxiste qui imprègne les œuvres d’historiens de divers bords.

Son dernier livre rend compte d’une approche trop souvent négligée, celle de la dimension religieuse de la lutte menée par le FLN contre la France de 1954 à 1962 et de ses conséquences pour les relations ultérieures jusqu’à aujourd’hui.

La guerre d’Algérie a été incontestablement une guerre révolutionnaire et nationaliste dans un contexte international d’émancipation des peuples après le bouleversement de la deuxième guerre mondiale qui a vu la ruine des puissances européennes et l’effondrement de leurs empires outre-mer ainsi que la mise en place d’un monde bipolaire dominé par les Etats-Unis et l’URSS.

Roger Vétillard explique et démontre l’instrumentalisation par le FLN de la religion musulmane pour s’assurer du contrôle du peuple algérien tout en tenant à l’extérieur un double langage à connotation démocratique et socialiste propre à séduire ses soutiens anticolonialistes et tiers-mondistes.

C’est l’objet, après un rappel de l’Islam et de sa prégnance dans la société « indigène » algérienne, du premier développement de son livre.

Les leaders du FLN, certes tous nationalistes et musulmans, n’ont pas été épargnés par des divergences profondes portant sur la politique à long terme et la dimension arabo-musulmane de l’Algérie future. Il en est résulté des exécutions de « déviants » ou soupçonnés de l’être. Tous comptes faits, on peut résumer que, à l’inverse du kémalisme turc ou du socialisme arabe moyen oriental, c’est la formule de Ben Badis, chantre des Oulémas de Constantine en 1935 qui l’a emporté : « L’Algérie est ma patrie, l’Islam ma religion et l’arabe ma langue ». Sur cette base l’Algérie future sera, pour reprendre J-P Lledo, « judenfrei und christenfrei ».

On lira avec intérêt toute une galerie de portraits des principaux responsables du FLN depuis la déclaration du 1er novembre 1954 et le congrès de la Soumam de 1956.

Ils ont tenu en permanence un double langage, très conscients, que l’on ne s’adressait pas à l’audience internationale, et plus particulièrement française de sensibilité de gauche, de la même façon qu’à une majorité inculte pratiquant un islam souvent très marqué par des superstitions ou des coutumes antérieures. Pour les premiers, la séduction démocratique, pour les seconds un conditionnement « islamique » garanti par des sanctions immédiates, dénonciation, flagellation « cravachage » (sic), amendes, mutilations et mort dans les cas jugés les plus graves ; Cela va du simple fait de rompre le jeune au soupçon de relations avec « l’occupant ».

Vétillard n’a pas développé cet encadrement de la population par ce que l’on appelait l’ORU, l’organisation rurale et urbaine. Il s’agissait pour le FLN de contrer l’action des sections administratives spéciales, SAS, mises en place par la France pour pallier la sous-administration des campagnes. Partout, le FLN organisa des sections locales de trois membres (loujna), des réseaux de collecteurs de fonds (impôt mensuel par famille), un système d’agents de liaison (tissal) et un commando par district (nahia) de « gendarmes » exécutant les « traîtres » et, à titre d’exemple, ceux qui ouvertement ne respectaient pas les prescriptions de la loi coranique.

Toute une manipulation sémantique va de pair. Un seul exemple, le mot « moudjadine », que l’on veut faire passer dans le français comme un équivalent de « combattant », voire de « maquisard » pour certains, signifie en fait « Celui qui fait la guerre sainte, le soldat de l’islam ».

La deuxième partie du livre porte sur le rôle de l’Islam dans l’Algérie actuelle.
Toute ambiguïté sur la nature du régime est levé avec la Code de la nationalité de 1963 qui dénie à « tout étranger » la nationalité algérienne s’il n’est pas musulman sauf à en faire la demande expresse au ministre de la Justice qui n’acceptera que 300 demandes « pour services confirmés à la Révolution ». L’étape suivante avec Boumédienne sera la lutte pour l’ « arabité » et l’arabisation de l’enseignement et de la culture. On sait la prégnance croissante de l’Islam et la guerre civile qui a suivi la répression du Front Islamique du Salut, FIS, par l’Armée après son succès électoral de 1989.

En conclusion, la guerre d’Algérie n’a pas été une guerre de religion mais la dimension religieuse ne saurait en être exclue. Elle explique la situation actuelle.

Roger Vétillard présente 60 pages d’annexes qui sont autant de témoignages à l’appui de son propos. Beaucoup d’autres pourraient y être ajoutés en particulier sur le sort des Harkis musulmans qui n’est pratiquement pas mentionné.