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Monseigneur Louis Laneau, 1637-1696 : un pasteur, un théologien, un sage ?

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Recension rédigée par Dominique Rézeau


Simona Bunarirunkasa, religieuse thaïlandaise, a déjà publié en 2007 un ouvrage consacré à Mgr Jean-Baptiste Pallegoix, MEP, évêque au Siam oriental – l’actuelle Thaïlande – au milieu du XIXe siècle. Homme d’Église mais aussi savant et diplomate, celui-ci s’employa notamment pour le rétablissement de relations diplomatiques entre la France et le Siam. Pallegoix avait été précédé au XVIIe siècle par un autre missionnaire de la société des missions étrangères de Paris, Mgr Louis Laneau, premier vicaire apostolique du Siam, qui s’était efforcé déjà d’encourager les relations entre le roi de France et le monarque de cette lointaine contrée du continent asiatique, relations interrompues par les changements politiques et la persécution qui s’ensuivit.

C’est la figure de Mgr Laneau que l’auteur s’attache à nous faire connaître dans le présent ouvrage, qui est une biographie très détaillée, mais aussi une histoire de cette nation dont elle est originaire et de son évangélisation. Bien que celle-ci n’ait jamais obtenu le succès escompté – on compte moins d’un pour cent de chrétiens dans la Thaïlande d’aujourd’hui -, grâce à ce missionnaire français de vertu et de vision, et à ceux qui lui succédèrent, l’Église catholique demeure une institution respectée par une population majoritairement bouddhiste et appréciée par les autorités thaïes pour son engagement dans le domaine social et éducatif.

Simona Somsari s’attache à relever le souci qu’eut Mgr Laneau d’aborder cette vaste région, si différente du Val de Loire de son enfance, avec un cœur et un esprit ouvert. Certes il est envoyé pour annoncer l’évangile, mais il lui apparaît primordial de connaître et d’aimer le peuple qu’il découvre, aux antipodes de ses origines, de sa formation et de sa propre culture. Quelques années après son arrivée au Siam en 1662, « il arrive à prêcher en siamois et en portugais, et à confesser en vietnamien » ! Après quelques années de ministère consacrées à la formation de futurs prêtres autochtones et au soin des pauvres et des malades, le père Laneau rencontre en 1673 le roi Phra Nai, esprit ouvert et bienveillant envers les étrangers, qui règne « paisiblement » depuis 1656 (c’est l’adverbe employé par l’auteur qui signale tout de même qu’il a auparavant assassiné ses frères et brutalement écarté son oncle de la succession au trône). Le roi souhaite contribuer à la construction d’une église à Ayutthaya et en demande les plans au missionnaire. Peu après, ce dernier devient vicaire apostolique du Siam et reçoit la consécration épiscopale ; il a été choisi pour sa connaissance de la langue et de la religion du pays, et pour l’estime dont il jouit à la cour et auprès des mandarins.

Mgr Laneau s’emploie à la conversion des siamois, avec un relatif succès, malgré ses efforts « d’inculturation » du christianisme. Il propose par exemple que les missionnaires revêtent l’habit safran des bonzes, proposition désapprouvée plus tard par le Saint-Siège. Autre souci, la présence de religieux portugais qui refusent d’obéir au vicaire apostolique français, notamment jésuites et dominicains qui vont entrer avec lui en conflit ouvert, au détriment de la mission. L’évêque n’est pas étranger à l’échange d’ambassades entre le roi du Siam et Louis XIV, même s’il décline l’offre d’en faire partie. Il traduit les échanges de correspondance, écrit lui-même plusieurs missives, et ne manque pas de remercier le roi de France pour sa bienveillance envers les missions. En rapport fréquent avec celui du Siam, il rêve de sa conversion au catholicisme, mais se garde de faire pression sur le monarque : Car à dire vrai, écrira-t-il en 1685, bien que le roi du Siam fut très bien incliné pour le christianisme, je ne sais néanmoins s’il pensait beaucoup à se faire chrétien. En dépit de ses bonnes dispositions, le roi est entouré de moines bouddhistes et de courtisans qui ne sont guère favorables aux chrétiens ni aux étrangers. La mort du roi Phra Nai donne le signal d’une révolution de palais, de massacres à la cour royale et du départ des quelques troupes françaises présentes depuis la récente ambassade envoyée par le roi de France. Mgr Laneau lui-même est maltraité puis emprisonné en compagnie d’autres missionnaires et séminaristes. Remis en liberté en 1690, il relève courageusement ce qui a été détruit, églises, missions, séminaires.

Le Siam ayant été durement éprouvé par divers fléaux naturels, sécheresse puis épidémies, Mgr Laneau se fait aussi médecin et propose même au roi une « recette » pour guérir les malades, recevant en récompense « un habit épiscopal complet » ! Souffrant à son tour de divers maux, affaibli par la rudesse du climat et les nombreuses épreuves de son ministère, le premier vicaire épiscopal du Siam s’éteint à 59 ans, le 16 mars 1696, regretté par le roi Pra Phetracha qui l’avait pourtant mis en prison. Il a pris le temps peu avant sa mort d’écrire à la Congrégation de la Propagande à Rome pour éclairer le Saint-Siège sur les difficultés causées à ses confrères des Missions étrangères par les Pères jésuites. La réponse du pape Innocent XII lui-même, empreinte de bienveillance et louangeuse, n’arriva toutefois qu’après la mort de son destinataire.

On lira avec un intérêt particulier la dernière partie de l’ouvrage, consacrée aux œuvres et à la personnalité de Mgr Laneau qui rédigea une grammaire et un dictionnaire siamois et traduisit aussi l’évangile, soucieux pour lui-même et ses missionnaires de comprendre et d’aimer le peuple auquel il était envoyé et de témoigner sa foi dans le plus grand respect pour sa langue et sa culture. Simona Somsari conclut ainsi : Nous ne pourrons jamais assez remercier les missionnaires français et des autres nations ; hommes et femmes qui partent non seulement pour semer la foi mais qui apportent la modernité, la science, l’hygiène, l’éducation… sans forcer les autochtones à devenir comme eux.