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Addis-Abeba, Éthiopie : construction d'une nouvelle capitale pour une ancienne nation souveraine

Auteur Serge Dewel
Editeur l'Harmattan
Date 2018
Pages 2 vol. (469, 226 p.)
Sujets Urbanisme Éthiopie Addis-Abeba (Éthiopie) Histoire Addis-Abeba (Éthiopie) Histoire
Cote 62.528
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Recension rédigée par Jean Nemo


On traitera très naturellement des deux tomes de cet ouvrage, parus en même temps et traitant du même sujet, au cours de deux périodes qui se suivent.

D’après les sources bibliographiques, pour le moment fort limitées quant à cet auteur, il s’agit ici d’un ouvrage en deux tomes qui est le texte remanié d’une thèse de doctorat de 2017, soutenue à l’INALCO. Soit un délai fort rapide entre cette thèse et cet « ouvrage remanié ».

Comme l’on doit s’y attendre, l’appareil critique dudit « ouvrage remanié » est de fort bonne qualité. L’essentiel, une abondante bibliographie que le lecteur dit érudit mais non spécialiste devine complète, se trouve dans le tome 2. Mais de bonnes explications sur les transcriptions de noms éthiopiens, un index nourri, de nombreux encadrés, listes des cartes, plans et autres illustrations sont naturellement répartis entre ces deux tomes.

L’auteur, venu sur le relativement tard en Éthiopie, y a séjourné plusieurs années, connaît le guèze et l’amharique. Il s’est intéressé aux différentes chrétientés de la région. Mais aussi aux monuments et aux paysages urbains. Ce qui nous ramène, après cette courte présentation, vers l’ouvrage en deux tomes sous revue.

Si l’on ne remonte pas ici au Prêtre Jean dont le royaume mystérieux et errant fut parfois et tardivement localisé en Abyssinie, l’auteur, dans son introduction, braque son projecteur assez loin dans le passé pour s’interroger sur ce que pouvait être une « capitale », siège du pouvoir, dans une société aux « institutions traditionnelles », lesquelles étaient sommées de faire face à un nouvel environnement local et mondial et de bâtir une identité nationale.

Cette introduction soulève également des « réflexions préalables sur l’épistémologie, l’historiographie et la méthodologie ». Elle se conclut par la phrase suivante : « C’est par l’art de manier la mémoire collective, de revisiter les traditions pour l’organisation des commémorations et de « patrimonialiser » la ville, que le pouvoir éthiopien a fabriqué sa capitale, tout en alimentant les processus de construction d’une identité culturelle nationale ».

En d’autres termes, comme ce fut le cas de bien des nations, dans un passé lointain ou plus proche, l’auteur relie construction du ou des pouvoirs et celle de « l’identité nationale ». De ce point de vue, on peut s’interroger sur le sens d’une partie du titre : « pour une ancienne nation souveraine ». La réponse figure dans l’introduction, sous l’appellation de « légende dorée de l’Éthiopie» : ou, comment d’un magma de particularismes régionaux et souvent agressifs pour les voisins, « le magma politique que constituait l’Éthiopie à certaines époques » semble ne pas avoir empêché cette construction de l’identité nationale.

Les « prolégomènes » d’un premier chapitre approfondit cette remontée dans le temps long, chrétienté ancienne, Aksoum (Aksum dans le texte), apparition d’une royauté sacrée, d’une capitale, d’un État qui se veut porteur de toutes ces valeurs. On ne peut s’empêcher de faire des rapprochements avec d’autres histoires et sous d’autres cieux, mais l’auteur ne s’y livrant pas, on laissera au lecteur le soin éventuel de s’y essayer…

La partie 1 du premier tome, en trois chapitres, retrace les prolégomènes de naissance : rappel du contexte mondial au XIXe siècle, recentrage du pouvoir aux alentours de 1868 (montée en puissance du Choa et rivalités avec le Tigray), à partir de 1886 implantation d’une capitale, celle de « la grande Éthiopie » et le rôle des puissances européennes après la Conférence de Berlin qui ouvrit la ruée vers les colonisations en Afrique. Ou comment la défaite italienne d’Adoua (Adwa dans le texte) permit à Ménélik vainqueur d’asseoir son autorité et de lancer le passage, pour Addis-Abeba, du village à la ville. Passant des hauteurs au piedmont, le pseudo village initial développe bien des activités tertiaires dont la bureaucratie administrative indispensable. Comme le souligne l’auteur, l’une des spécificités de cette capitale était constituée «par le paradoxe d’avoir été une capitale avant même d’être une ville ». Soit « l’affirmation et l’ostentation de l’indépendance ».

La partie 2 du premier tome, en trois chapitres également, décrit l’évolution de la ville avant la courte période italienne. Évolution liée à une histoire plus générale : reconnaissance par la SDN, afflux d’Européens (pharmaciens, médecins, commerçants…). Multiplication des monuments destinés à commémorer les grands hommes, notamment les négus ou les évènements de l’histoire.

Le second tome est sensiblement plus court que le premier. Il traite de la courte période italienne fasciste, à l’origine de nouveaux tracés et monuments pour en faire une « vitrine de l’Impero ».

L’auteur rappelle l’absence d’archives exploitables avant 1940, « le pari fut donc de travailler avec les documents graphiques, en les confrontant aux témoignages, pour tenter d’illustrer la construction de la capitale avec, comme fil rouge du récit, le recours à l’expression de la souveraineté, un sentiment cher aux Éthiopiens ».

Pour qui a eu l’occasion de passer plusieurs fois quelques jours à Addis-Abeba, le souvenir le plus marquant est celui de constructions grandioses et d’artères tracées au cordeau, au-delà desquelles on plongeait dans de tristes bidonvilles.

Il n’empêche qu’outre être une capitale éthiopienne porteuse de souveraineté nationale, la ville a été et reste une capitale de l’Afrique, OUA notamment oblige.

L’ouvrage sous revue se parcourt agréablement, notamment grâce à ses illustrations, ses nombreux encadrés, permettant au lecteur de flâner ici ou là. Plus sérieusement, il propose une vision historique et actuelle d’une capitale exemplaire, de 2018, soit d’à peine hier. Son abondante bibliographie permettra au lecteur intéressé de replonger tant dans le passé que dans le proche présent. Une « chronologie générale » figurant dans le tome 2 resitue de 1800 avant notre ère jusqu’à nos XXe et XXIe siècles une histoire entremêlée, fort ancienne pour l’Éthiopie, beaucoup plus récente pour sa capitale d’aujourd’hui.

Bien plus qu’un simple guide touristique, véritable monographie, il s’agit ici d’un essai de reconstituer pour le lecteur le ou les sens d’une construction urbaine accompagnant la naissance d’une nation.