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Kanaky : sur les traces d'Alphonse Dianou : récit

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Recension rédigée par Jean Nemo


La couverture de l’ouvrage ne porte que ce nom, court et significatif, accompagné d’une photo, portrait en pied d’un Canaque, plus forcément reconnaissable aujourd’hui, depuis longtemps absent des médias. La première page intérieure développe ce titre comme suit : « Sur les traces d’Alphonse Dianou, récit ».

L’ouvrage est paru quelques semaines avant le référendum dont il sera fait état ci-après. On se rappellera que les évènements d’Ouvéa se sont situés, en 1988, entre les deux tours de l’élection présidentielle en France

Pour les lecteurs hexagonaux qui ont quelque mémoire, le nom de Dianou, de son prénom canaque Kahnyapa, évoquera peut-être l’un des leaders canaques indépendantistes qui furent probablement tués lors de l’affaire d’Ouvéa, en avril 1988, après la prise en otages de gendarmes français et suite à l’assaut de la grotte où s’étaient retranchés les Canaques. Même s’il était le meneur de cette prise d’otages, il ne figure pas parmi les plus connus des indépendantistes, terme simpliste ici utilisé pour désigner une nébuleuse plus complexe.

L’on n’ignore pas les démêlés politiques et souvent sanglants de cette fin des années 1980 : ceux que l’on baptisa alors d’ «indépendantistes canaques», étaient supposés être représentatifs d’une ethnie devenue minoritaire – 39% en 2014 - dans une population composée de « Caldoches » (les Européens nés sur le Territoire), de métropolitains dits « z’oreilles » par les Réunionnais, en Nouvelle-Calédonie et autres DOM, de Wallisiens, de Futuniens, de Tahitiens et d’originaires de l’Asie du Sud-Est. Un récent référendum, promis après les évènements de l’époque, a remis l’avenir de la Nouvelle-Calédonie dans une brève actualité.

On notera que ce référendum garanti par les accords de Matignon et de Nouméa en 1988 s’est tenu à la date limite prévue dans ces accords, que la large victoire du « oui » pour le maintien dans la République, annoncée par les sondages, s’est avérée moins large que prévu et qu’après avoir fait, les jours précédents le scrutin, l’objet de manchettes en première page des médias de Métropole, les jours suivants les mêmes médias ont été singulièrement muets sur les résultats, sauf à annoncer que pour les indépendantistes rien n’était encore joué.

Ce bref rappel pour situer politiquement et historiquement le «récit » sous revue.

L’auteur, encore jeune, s’est déjà fait connaître, non par une bibliographie encore modeste, mais aussi par ses engagements, son refus d’accepter le prix Goncourt du premier roman, «De nos frères blessés », l’histoire d’un ouvrier pied-noir, communiste et indépendantiste, guillotiné en 1957, ses nombreux articles dans le journal « L’Humanité », ses prises de position en faveur de journalistes emprisonnés en Turquie ou de certains «Gilets jaunes» aujourd’hui poursuivis. Bref, un auteur engagé, dans tous les sens du terme. Bien entendu, sans porter de jugement de valeur sur cet engagement.

Pour en venir au « récit », il commence dans une brève introduction ainsi « Le journaliste examine, l’historien élucide, le militant élabore, le poète empoigne ; reste à l’écrivain à cheminer entre ces quatre frères… ».

L’auteur dans la même introduction qui ne dit pas son nom explique que son attention fut un jour attirée par l’un de ces «barbares», tels qu’ils furent qualifiés à l’époque par un Premier Ministre et futur Président hexagonal et métropolitain. Il a choisi depuis sa France normande d’aller là-bas à l’autre bout du monde enquêter pendant de nombreux mois sur Dianou. Car «Pourquoi lui plus qu’un autre ? …Notre homme ne s’entend qu’à la condition d’écouter tous les siens, plus encore en ces terres où le moi a l’allure d’un gros mot». Référence au communautarisme supposé des Canaques.

« L’affaire d’Ouvéa » suscita en son temps et encore aujourd’hui de vives polémiques et interprétations ou témoignages contradictoires. Nul n’a pu établir de façon certaine si l’encore jeune Dianou, blessé lors de l’assaut puis évacué sous assistance médicale fut ou non abattu. Toujours est-il qu’il n’arriva pas à l’hôpital.

L’ouvrage sous revue présente quelques défauts éditoriaux qui en rendent la lecture un peu difficile : pas de table des matières, quelques chapitres en italique dont on se demande s’ils sont partie constituante du « récit » ou citations d’autres documents, une bibliographie des ouvrages «mobilisés au cours de l’écriture».

Malgré ces réserves éditoriales, la lecture de cet ouvrage est intéressante, même si elle n’apporte pas de révélation définitive à propos des mystères qui entourent encore aujourd’hui ce sanglant épisode d’une lutte anticoloniale. Peut-être l’auteur, dans ses interviews sur place, se montre-t-il trop limité à des témoins canaques. Il est vrai que ceux-ci n’ont pas écrit, alors que du côté français la littérature, les campagnes de presse furent à l’époque et aujourd’hui encore abondantes. Sans doute Joseph Andras n’a-t-il pas suffisamment insisté sur les analyses critiques des évènements et les condamnations, du côté français, des fautes et exactions commises.

Comme lors de la guerre d’Algérie, nombreux furent en métropole et sur place les Français qui dénoncèrent ces fautes et exactions.

On ne saurait fermer l’ouvrage sans signaler son style souvent flamboyant, toujours ardent, qui décrit mieux l’auteur au lecteur.