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Religions antiques : une introduction comparée, Égypte - Grèce - Proche-Orient - Rome

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Recension rédigée par Christian Lochon


L’actualité des guerres de religion ou plutôt de l’instrumentalisation politique des religions et de leur éclatement en communautés opposées rend la lecture de ce livre, consacré aux religions antiques, bien utile pour la compréhension des affrontements Orient/Occident tels qu’ils se produisent aujourd’hui. La préface des directeurs de l’ouvrage indique bien que les religions sont proches les unes des autres mais que les fidèles essaient de les opposer par calcul politicien: « Une religion, comme une langue, est le résultat de l’organisation d’éléments issus d’ailleurs ou d’avant réinterprétés dans un cadre nouveau ».

Quatre études décrivent les religions orientales et l’adoption de leurs mythes en Occident :

Youri Volokine définit les rites effectués en Egypte, dont les temples assurent la protection de l’univers ; les murs d’entrée ou pylônes présentent des scènes de guerre pour dissuader les ennemis d’entrer ; d’ailleurs les fidèles ne peuvent pas pénétrer dans les sanctuaires et assistent au dehors au déroulement quotidien des cérémonies, sacralisant ainsi les murs extérieurs. Les dieux sont des facteurs de stabilisation du monde ; Maât est la force morale et l’énergie vitale ; Amon est le « père des pharaons » et vole à leur secours ; ils correspondent avec les hommes par rêves et oracles.

Nicolas Durisch Gauthier et F. Prescendi rappellent que la magie, notamment en Egypte, est liée à la religion ; par les rites d’envoûtement, le « hekaou » (magie en égyptien) est au service de tous, dieux, pharaons, vivants, morts. La magie est un phénomène collectif. Pour en limiter les effets, Maât maintient l’équilibre du monde toujours menacé par Seth, l’ennemi d’Osiris mais aussi de l’Egypte tout entière et par le serpent Apophis. A Rome, au Ier siècle avant J.C., des religieux persans ou « mages » (transcrit en latin « majus ») importent les pratiques de magie

Philippe Borgeaud et Thomas Römer analysant l’épopée de Gilgamesh, qui pourrait remonter aux Sumériens mais dont la version retrouvée, inscrite sur des tablettes d’argile, date seulement du XXVe siècle avant J.C., montrent l’influence de ce texte mésopotamien sur des passages de la Bible et sur des pans entiers de la mythologie grecque. Ainsi l’amitié exceptionnelle de Gilgamesh et d’Enkidu annonce celle de David et Jonathan (premier livre de Samuel) et les liens d’Achille et de Patrocle. De même le thème de la mort qui différencie les hommes des dieux immortels, est exprimé dans la visite de Gilgamesh aux Enfers pour y retrouver Enkidu comme 0rphée le fera pour rejoindre Eurydice. Autre description, celle du déluge qui sera reprise dans  la Bible. Quant au combat entre Gilgamesh, Enkidu et les Géants, il réapparaît en Grèce sous la forme des Titans contre les dieux ; la lutte entre le dieu de Babylone Mardouk, réadopté plus tard à Babylone, et Tiamat illustre l’idée que l’univers est le résultat d’une victoire contre des forces gigantesques de désordre que reprendront les mythologies égyptienne et grecque.

Pour Agnès Anne Naguy et F. Prescendi, Rome intègre les religions orientales en les transformant dans la mesure où les Romains conservaient leurs rites traditionnels ; contemporains, le mithraïsme sera adopté par les légions romaines par le mythe  de la tauroctonie (abattage du taureau par Mithra, devenant le symbole par excellence du mystère)  tandis que le christianisme qui refusait le culte de l’Empereur sera proscrit. Pour l’Italie, l’Orient est constitué de l’Egypte, de la Syrie, de la Grèce anatolienne, de la Perse. En -204, les Romains s’approprient avec enthousiasme le culte de la Déesse Mère qui venait de Phrygie. Ainsi les citoyens romains, dont plusieurs étaient d’origine étrangère étaient libres de pratiquer des religions non-romaines si elles ne menaçaient pas la sécurité de l’Etat, voire la morale ; ainsi, des mesures furent prises à l’encontre des cultes d’Isis et de Sérapis (219, 48 avant J.C. et 19 après) pour accusation de licence sexuelle et contre les Chaldéens (134 avant J.C.) pour divination mensongère.

Trois autres études examinent plus précisément les religions en Europe :

Philippe Borgeaud et F. Prescendi réfléchissent sur ce que peut bien signifier le fait de vénérer plusieurs dieux à la fois. Ils notent que chaque sanctuaire grec présente une forme particulière du dieu vénéré ;  les Grecs distinguent entre Zeus de l’agora et Zeus de la cité, entre Aphrodite céleste et Aphrodite du peuple. En fait les Anciens n’avaient pas conscience d’être polythéistes. D’autre part, ce sont les poètes Homère, Hésiode qui ont appris aux Grecs que les dieux étaient « athanatos » (pas concerné par la mort) et « ageraos » (pas concerné par le vieillissement). Cependant ils vivent comme les hommes, se battent comme eux, aiment comme eux, sont rusés comme eux. C’est qu’ils sont aussi issus de l’ancêtre Terre Gaïa. Ce sont les Tarquins, rois étrusques, qui ont importé  de Grèce la représentation anthropomorphique ; mais les Romains conserveront scrupuleusement les mythes de fondation de la civilisation romaine (Enée, Romulus, Remus, Numa). Le culte le plus représentatif de l’Empire romain, c’est la triade capitoline, Jupiter, Junon, Minerve, dieux majeurs auxquels se joignent Mars, Vénus, Vesta. On retrouvera dans toutes les colonies de Rome cette triade capitoline honorée partout dans un temple nommé Capitolium. César évoquant les dieux gaulois leur trouve des traits qui les assimilent à Jupiter ou à Mars. Le panthéon romain comprendra aussi des humains divinisés, en général les empereurs, qu’une cérémonie spectaculaire (« consecratio ») fera passer du monde humain au monde divin.

Francesca Prescendi analyse l’acte fondamental des pratiques religieuses de l’Antiquité, à savoir le sacrifice. En Grèce, les philosophes s’opposeront aux sacrifices d’animaux prétendus coupables car participant à la violence du cosmos ; les représentations iconographiques de ces cérémonies  occulteront volontairement la violence en privilégiant les processions solennelles pleines de dignité et qui font plutôt apparaître le niveau social de celui qui offre le sacrifice, consommateur d’encens venu à grands frais du Yémen. Lorsque la victime est sacrifiée, un cri rituel (« ololuge ») est poussé par les femmes ; cette sorte d’ululement est encore en usage dans les sociétés arabes (« halhala ») lors de rassemblements festifs

Dominique Jaillard et F. Prescendi examinent les manières grecque et romaine d’interroger les divinités. Les Institutions oraculaires grecques attirent de nombreux pèlerins d’Europe et d’Asie comme à Delphes au sanctuaire d’Apollon, où Plutarque servit comme prêtre. Le terme grec « mantique » désigne toutes les sortes de divination qui, rappellent les auteurs, ne servent pas à prévoir le futur mais sont un moyen de régler un problème. Ce sont des prêtres étrusques ou haruspices qui introduisirent ces pratiques en Italie en utilisant les « livres sibyllins », compilations rapportées de Samos, de Sicile et même d’Afrique du Nord. On interroge les dieux sur l’emplacement des villes nouvelles en se penchant sur le vol d’oiseaux, le grésillement des entrailles qui brûlent sur les autels, le tirage au sort. Pour Cicéron, la divination fait partie de la religion

Seize illustrations (pages 96 et 97) sont commentées dans les différents chapitres, qui disposent de bibliographies spécialisées. L’index des noms des spécialistes, des lieux et des divinités (pages 169 à 176) ainsi que les notices des auteurs de l’ouvrage (pages 183 à 185) complètent utilement cette présentation de regards croisés qui souligne une fois de plus comment les mythes transmettent des savoirs.