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Figures de la préservation de l'environnement outre-mer : études de cas et réflexions pluridisciplinaires

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Recension rédigée par Jean-Marie Breton


            L’ouvrage recensé ici réunit les contributions présentées dans le cadre d’une réflexion collective conduite, lors d’un colloque organisé courant 2014 à La Réunion, sur les questions et problèmes particuliers que pose, à travers le prisme d’un certain nombre de situations, de contextes et de cas mis en parallèle (s’agissant de leurs convergences comme de leurs divergences), la préservation de l’environnement dans l’outre-mer français où, plus qu’ailleurs, elle se heurte à des difficultés et subit des agressions récurrentes, tant conjoncturelles que structurelles, particulièrement graves.

            La contradiction est manifeste et source de préoccupations, entre la richesse d’une biodiversité exceptionnelle et sans égale, qui est encore loin d’avoir été totalement appréhendée et explorée, et sa dégradation accélérée, en raison des menaces et les multiples atteintes auxquelles elle est exposée, dégradation malheureusement trop souvent irréversible, qui est quatre fois plus rapide que dans l’espace métropolitain.

            Les difficultés de tous ordres qui tendent à faire obstacle à une préservation et à une conservation « dynamiques », qui soient compatibles avec une valorisation de nature à permettre de bénéficier des services écosystémiques dont cette biodiversité est porteuse, interpellent le droit de l’environnement, aussi bien que, plus généralement l’ensemble du droit positif, à travers la capacité qui est la leur d’y apporter des réponses pertinentes, c’est-à-dire à la fois réalistes, concrètes, crédibles et efficaces à l’aune des résultats qui peuvent en être légitimement attendus.

            La pluridisciplinarité de la démarche scientifique (et, partant, de ses prolongements opérationnels) est à la mesure de la complexité de la protection environnementale. Celle-ci, en raison des problématiques qu’elle sous-tend autant qu’elle les suscite, « implique de penser globalement l’environnement au plan local ». C’est ce à quoi se sont attachés les auteurs dont les analyses sont présentées dans ce petit ouvrage, aussi dense que savant, sur lesquelles le devenir de nos sociétés ne peut plus, aujourd’hui, se permettre de faire l’impasse.

            Le professeur E. Naïm-Gesbert rappelle fort opportunément, en exergue de ces travaux, que la nécessité d’adapter les normes nationales au(x) contexte(s) de l’outre-mer et à la diversité des ses territoires répond à un double motif, qui tient à la fois à la logique intrinsèque du système de droit (dont le positivisme ne saurait se satisfaire d’une mise en œuvre uniforme des normes), et à ce qui relève de la nature propre du droit de l’environnement (qui ne peut se cantonner à des abstractions quand la réalité environnementale doit impérativement, sauf à mettre en cause sa légitimité et sa crédibilité, s’adapter au réel écologique). C’est la nature même du droit qui impose en l’occurrence « de faire varier la norme selon les caractères de la biodiversité outre-mer », en l’acclimatant à une réalité dont les enjeux, comme l’a montré la récente COP 21 à Paris, sont désormais devenus, à court et à moyen termes, aussi dramatiques qu’incontournables.

            La réflexion doit à cet effet s’orienter dans plusieurs directions complémentaires, qui mettent en exergue et appréhendent conjointement, dans une double démarche heuristique et fonctionnelle, l’intégration de la protection locale de l’environnement ; la dimension sociale de la protection locale de l’environnement ; la dialectique espace-espèce dans la mise en œuvre d’une protection locale de l’environnement ; et l’équation complexe des relations entre environnement, espaces et stratégies juridiques.

            On ne saurait nier à cet égard, comme rappelé ci-dessus, que « l’acclimatation » de la norme environnementale constitue bien « une figure essentielle du droit de l’environnement outre-mer ». Cette prise en compte des spécificités et des exigences du contexte local, destinée à permettre une adaptation optimale de la norme (dont le statut constitutionnel des territoires concernés ouvre opportunément la possibilité), en termes de validité comme
d’efficience, s’effectue aussi bien au niveau de la mise en œuvre des différentes polices
administratives spéciales de l’environnement, qu’à travers la prise en compte de celui-ci par les grands travaux d’aménagement, dans le domaine de l’urbanisme en particulier.

Mais, au-delà de la seule approche politico-économiques, les aspects et les
problématiques socio-culturels ne peuvent ni ne doivent être occultés, au regard des valeurs, des traditions, des pratiques et des comportements qui sont ceux des acteurs locaux, c’est-à-dire des populations des territoires français d’outre-mer.

Au strict plan du droit (qui ne saurait être ni le seul angle d’approche ni le seul outil d’intervention), la fongibilité des qualifications juridiques en droit de l’environnement, dans leur double dimension protectrice et répressive, au même titre que, dans ce propos,  l’appel, entre autres, aux ressources du droit pénal ou du droit international public, ainsi que l’articulation et la mise en cohérence de stratégies ad hoc, sont en ce domaine autant de conditionnalités fortes du traitement de la protection des espaces comme des espèces, du changement climatique comme des aires marines protégées, dont on sait l’importance que revêtent ces dernières dans l’outre mer insulaire et marin français.

            Il est alors effectivement nécessaire de retrouver, en ce domaine comme dans  d’autres, mais peut-être plus encore dans celui de la protection et de la préservation de l’environnement outre-mer, « le sens des équilibres », comme le souligne pertinemment le professeur Philippe Billet, en synthèse et en conclusion de ces quelques réflexions. Celles-ci auront présenté l’intérêt d’alimenter un débat essentiel mais inachevé, aussi profondément actuel qu’inévitablement prospectif, dans la perspective desdits équilibres qui se veulent (et se doivent d’être) à la fois naturels, sociétaux, territoriaux et internationaux.

Les dynamiques sociétales, les spécificités territoriales, les facteurs identitaires et culturels, exigent en effet que la préservation de l’environnement, dans les espaces
ultra-marins, intègre l’ensemble des équilibres parfois délicats et fragiles « que sous-tend tout un jeu d’interrelations en ce qui concerne à la fois les systèmes, la société humaine, son territoire que ses relations extérieures ».

Tout équilibre dynamique est certes instable, plus encore dans le domaine des normes, qui ne saurait faire prévaloir la seule sécurité juridique sur la protection de l’environnement et la pérennité des interactions entre écosystèmes. On n’aura pour autant garde d’oublier qu’en tout état de cause la conciliation nécessaire du paradigme d’équilibre avec le prisme des solidarités revêt à cet égard une acuité particulière à l’endroit de l’environnement des territoires et des sociétés d’outre-mer.