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Relire Yves Person : l'Etat-nation face à la libération des peuples africains

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Recension rédigée par Philippe David


            Disparu prématurément en 1982 à 56 ans, Yves Person s’est rendu très tôt célèbre par son énorme thèse de 2.477 pages, “ Samory, une révolution dyula ” publiée  entre 1968 et 1975 par l’IFAN-Dakar en trois volumes et prolongée un peu plus tard d’un quatrième par le Centre de Recherches africaines/CRA de Paris.

            Le présent ouvrage se situe dans le prolongement direct du colloque international qui lui fut consacré en juin 2013 à Paris. Préfacé par Georges Balandier, il est enrichi notamment d’un long avant-propos de Roland Colin, son condisciple à l’ENFOM (1948-1950), qui partagea avec lui l’essentiel de ses combats politiques et intellectuels. Le comité éditorial y a rassemblé en trois parties une vingtaine de textes - dont un en breton- choisispour exprimer au mieux la force, la nouveauté et l’actualité de “ son apport scientifique et ses engagements militants ” et assortis d’une scrupuleuse bibliographie quasi-exhaustive de 23 pages.

            Administrateur colonial peu de temps et très vite hors normes, Person s’est d’abord rapidement “ emparé ” de Samory Touré et lui a consacré plusieurs années d’un impressionnant travail de recherches  souvent innovantes et audacieuses, pour nous révéler finalement, dans toutes ses dimensions, un personnage majeur mal ou peu connu. Son succès fut tel que, dès 1984, deux ans après sa disparition, l’historien ivoirien Christophe Wondji, admiratif, le considérait comme “ un mort qu’on devrait disputer à la France ”.

            Breton bretonnant et militant socialiste mais lucide et libre, Person savait à l’occasion tenir ses distances avec Marx et Gramsci et prônait avant tout  un “ socialisme autogestionnaire ” capable de s’affirmer au sein d’états trop contraignants, trop centralisateurs, en ravivant partout la “ vieille tradition (africaine) d’autonomie communautaire ”. Inlassablement, il a scruté et décortiqué de nombreux termes qui lui paraissaient aussi ambigus que “ race ”, “ ethnie ”, “ état ”, “ nation ”, “ peuple ”,
“ dialecte ”, “ langue ”, “ esclavage ” et  “ servage ”.

            Toute la seconde des trois parties de l’ouvrage est consacrée à sa dénonciation, parfois véhémente, de “ l’impérialisme linguistique ” de la France dans ses colonies qui infligeait aux sociétés et aux cultures dominées, en “ violent contraste ” d’ailleurs avec la politique britannique dans ce même domaine (sauf en Irlande), une “ situation schizoïde ”  particulièrement néfaste.

            Sa vision de l’époque et ses connaissances étaient résolument panafricaines, aussi familières de Nkrumah, de Nyerere et de l’OUA que de l’Ethiopie, du Biafra, de l’Afrique du Sud encore soumise à l’apartheid et des luttes syndicales en cours. Il se sentait en mesure d’envisager “ une histoire globale ” du continent et dénonçait, ici aussi avec fougue, les Etats-nations issus des indépendances parce qu’oppresseurs de leurs peuples ainsi que l’absurdité presque partout de leurs frontières.

            Ce riche ouvrage bien calculé, bien dosé, rend donc un juste hommage à un homme déjà brocardé “ Person-Breton-Dogon ” par ses camarades de l’ENFOM,  à sa  pensée encyclopédique ainsi qu’à sa vision décapante des réalités africaines certainement encore utiles après un demi-siècle d’indépendances si contradictoires et si fragiles.                                                                                               

 


 
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