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Syrie, une guerre sans nom ! : cris et châtiments

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Recension rédigée par Christian Lochon


            Dr Jean-Claude Antakli, né à Alep en 1940 et son épouse Dre Geneviève Antakli sont deux médecins biologistes qui pratiquaient en France et qui répondirent en 2009 à une demande de l'archevêque melkite d'Alep, Mgr Jean Clément Jeanbart, de fonder avec leur aide un institut privé de formation d'infirmiers, qui manquait cruellement à la Syrie. Ils dirigèrent cette institution jusqu'en 2012, bravant les bombardements, les enlèvements et exécutions de notables, les conditions de vie défectueuses avec un grand courage. Un précédent livre du Dr Antakli, Itinéraire d'un Chrétien d'Orient (FX de Guibert, 2010) avait évoqué son enfance à Alep dans le quartier traditionnel de Jamiliyé, puis ses études secondaires au  collège mariste de Jounieh (Liban), son admission au concours d'entrée de la prestigieuse Faculté de Médecine de l'Université Saint-Joseph, la continuation de ses études médicales à Lyon et à Besançon en compagnie de son épouse. C'était une époque de paix en Syrie, interrompue six mois en 1958 au Liban. Le couple, au fur et à mesure que les enfants naissaient, se rendait dans ces deux pays facilement et dans la joie.

            Il n'en est plus de même dans cette région si éprouvée et J.-C. Antakli émet un certain nombre d'hypothèses très répandues au Proche-Orient ; les causes de l'implosion de l'Irak sont connues ; l'éradication par les Américains de l'état-major de l'armée nationale et des puissants services de sécurité qui étaient détenus par les baasistes en grande partie sunnites, la gouvernance de l'Irak remise exclusivement aux chiites et le désir de vengeance des citoyens sunnites s'engageant dans les milices de Al Qaïda puis de Daech. En Syrie, l'implosion aurait été télécommandée de Washington pour casser le monopole gazier russe en Europe, privilégier l'exportation du gaz qatarien par un gazoduc traversant la Syrie jusqu'à Homs d'où trois branches le transporteraient à Lattaquieh, à Tripoli et en Turquie ; le deuxième objectif étant de donner à Israël la possibilité d'exporter le gaz recueilli off-shore vers l'Europe via la Turquie. J.-C. Antakli fait remarquer que les zones de combat ont lieu principalement sur le tracé des oléoducs à construire. Les pertes humaines sont colossales (250.000 victimes en septembre 2015) comme l'exode des populations (six millions).

            Parmi les opposants au Régime Assad, les « modérés » semblent liés aux islamistes. Le président du Conseil national Syrien, Moaz El Khatib, d'obédience frères musulmans, est proche du président turc Erdogan ; l'Observatoire syrien des Droits de l'homme, dirigé par Riyadh Al Maleh, est subventionné par Riyadh et Doha. Ce sont des miliciens de l'Armée de libération syrienne (ALS) qui ont chassé en 2011 les Arméniens de Khabab, ville située à la frontière turque. L'assassinat du journaliste français Jules Jaquin à Homs le 11 janvier 2012, n’est pas le fait de l'armée régulière mais de l'ALS comme cela a été reconnu par la suite.  L'ALS  est aussi l'auteur du massacre de Houlé le 25 mai 2012, qui fit 108 victimes dont 34 femmes et 49 enfants. Quant aux tueurs patentés du Front Al Nosra, lié à Al Qaïda, qui s'étaient attaqués à l'armée libanaise à Nahr Al Bared, crevant les yeux et coupant les membres des militaires, ce sont des jeunes gens recrutés à leur sortie de prison et qui détruisent pour des sommes dérisoires les monuments à Homs, Hama, au Krak des Chevaliers, profanent les lieux de culte ou font exploser à Damas des voitures piégées dans le centre-ville. Il est vrai que des mercenaires les ont rejoints, venant d'Europe, ne connaissant pas l'arabe mais encadrés par des traducteurs, valorisés, croient-ils, par un « jihad » qui « n'est qu'une violence débridée et sanglante » (page 67). Le Cheikh saoudien Adnan Al Arous les encourage monstrueusement à « déchiqueter, hacher, manger la chair de tous les chiens partisans de Bachar, et en premier les Chrétiens » (sic, page 139). L'auteur parle peu de Daech qui, à l'époque, sévissait surtout en Irak et dans la province orientale de Raqqa, devenue sa capitale administrative, mais qui, en 2015 a pris Palmyre sur la route de Damas et, tout en luttant contre Al Qaïda, l'ALS et les troupes régulières, menace Alep par l'est.

            Dans ce cadre de terreur, Jean-Claude Antakli nous convie à des moments de spiritualité. Déjà dans Itinéraire d'un Chrétien d'Orient, il avait évoqué le « Miracle de Soufaniyé » apparu en 1982 dan un quartier de Damas près de Bab Touma. Une jeune femme orthodoxe semble voir et ressentir la Passion du Christ ; de l’huile suinte d'une icône de la Vierge, copie de celle de Kazan ; soutenue par des prêtres melkites comme le Père Zahlaoui très populaire comme aumônier des étudiants et créateur d'une chorale qui a été reçue en France et dans d'autres pays européens, Myrna attire les foules, chrétiens et musulmans qui ne restent pas indifférents à la demande de la Vierge « Je demande l'Amour ». A plusieurs reprises, cette maison a échappé aux bombardements qui se sont abattus sur ce quartier.

            Ce livre est dédié par les auteurs à la mémoire des dizaines de milliers de victimes syriennes sacrifiées, aux familles brisées, à celles qui sont sur le chemin pénible de l'exode comme nous pouvons les apercevoir en ces moments d'épreuves et certains d'entre nous, nous organiser pour en accueillir quelques-uns le plus dignement possible. Il y a une raison pour cela qui dépasse la seule considération humanitaire et que Volney, nous rappelle le
Dr Antakli, avait exposée dans son Voyage en Égypte et en Syrie publié en 1783, et dont Bonaparte fit son livre de chevet : « Dans ces contrées sont nées la plupart des opinions qui nous gouvernent, d'où sont sorties ces idées religieuses qui ont influencé si puissamment notre morale publique, nos lois et notre état sociétal ».

            Entre les pages 138 et 139, une iconographie saisissante de destructions d'immeubles, de corps de victimes laissés dans les rues, deux cartes régionales, complètent la documentation d'un livre dicté par l'émotion mais aussi par l'espérance d'une nouvelle Syrie apaisée et unifiée.                                                                                                 

 


 
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