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Africanistan : l'Afrique en crise va-t-elle se retrouver dans nos banlieues ?

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Recension rédigée par Roland Pourtier


            On ne présente plus Serge Michailof. Africanistan est le dernier des ouvrages dans lesquels il fait part de ses expériences et réflexions sur les questions de développement auxquelles il a consacré quelques décennies de vie professionnelle, tant à la Banque mondiale qu’à l’AFD.

            Le titre accrocheur est un titre d’éditeur destiné à rendre attractif un livre qui à vrai dire n’évoque qu’accessoirement la question des banlieues et ne traite pas de l’Afrique prise dans sa totalité. Il eût été plus exact de parler de Sahelistan, car l’ouvrage ne traite pour l’essentiel que des pays francophones du Sahel (Mali, Niger, Tchad, principalement), noyau dur des interrogations et des inquiétudes de l’auteur. Le parallèle avec l’Afghanistan a pour but de mettre en perspective la crise que traversent les pays sahéliens, avec l’espoir, bien mince au demeurant, d’éviter de reproduire les erreurs commises à Kaboul. Le livre se veut « un cri d’alarme », dans la continuité d’une publication antérieure, Notre maison brûle au sud[2] dont certains contenus ont été repris et actualisés.

            En contrepoint d’un afro-optimisme ambiant qui ne tient pas compte de la diversité africaine, Serge Michailof pense qu’« un drame humanitaire d’une ampleur  historique se prépare au Sahel », et qu’il n’y a, à terme, aucune solution militaire à une situation chaotique. Son objectif est d’en expliquer les causes.

            L’ouvrage est organisé en quatre parties. La première, intitulée « Quelle est la véritable situation de l’Afrique subsaharienne ? », expose les défis majeurs du Sahel, et tout d’abord, le défi démographique, un des fils conducteurs de la réflexion de l’auteur qui insiste sur le fait que « la simple poursuite des tendances démographiques actuelles est ingérable ». La situation s’avère d’autant plus préoccupante que le développement agricole et rural a été négligé par les politiques de développement et que l’absence d’industrie ne peut faire face à la demande massive d’emploi d’une population exceptionnellement jeune dans cette région aux records mondiaux de fécondité.

            La deuxième partie, « Les États fragiles dans la tourmente », présente les facteurs politiques et les pratiques sociales qui fragilisent les États ou les conduisent à la faillite, un chapitre entier étant dévolu à la Côte d’Ivoire et à sa « descente aux enfers » de 1980 à 2012. Cela éloigne du Sahel mais fournit une illustration complémentaire de l’importance des institutions, du fonctionnement de l’administration et des forces de l’ordre comme conditions du développement.

            Dans la troisième partie, « Leçons d’Afghanistan pour le Sahel », Serge Michailof s’interroge sur les risques d’« afghanisation » du Sahel en soulignant maints points communs : démographie, fragilité de l’Etat, corruption, perméabilité entre forces de l’ordre et banditisme, « commandants » et mafias de la drogue. Il souligne opportunément que dans ces espaces en crise « la combinaison de la démographie et de la Kalachnikof … a sensiblement changé la donne ». Dans la foulée, il critique, tous azimuts, les agences d’aide, les politiques inadaptées de développement, un « business as usual » incapable de répondre aux préoccupations des populations, l’incurie de l’administration Bush en Irak - aux origines de Daech - le double jeu du Pakistan, etc. Acteur et témoin, il se met volontiers en scène, ajoutant une touche très personnelle à des propos décapants distribuant les bons et les mauvais points.

            La quatrième partie, « Que faire ? », martèle le message central en rappelant que « deux secteurs fondamentaux ont été oubliés : le développement agricole et rural, et le contrôle de la fécondité ». Suit une critique de la vision caritative de l’aide française et un plaidoyer pour que celle-ci se désengage partiellement du multilatéral où sa lisibilité se perd au bénéfice de la nébuleuse anglo-saxonne, et pour qu’elle renforce au contraire le bilatéral, notamment au Sahel où la France, eu égard à son expertise, devrait être chef de file d’un vaste plan de développement soutenu par l’Europe. Car sans un développement à même de fixer les populations, une énorme pression migratoire potentielle s’exercera au sud de la Méditerranée, comme elle a commencé à le faire. Africanistan s’achève sur cette question des migrants, en mettant en exergue deux publications récentes de Paul Collier et de Michèle Tribalat[3], sans que des réponses concrètes soient proposées aux questions soulevées. Si, dans la conclusion, la population est présentée comme « une variable sur laquelle il est possible et même légitime d’agir », les moyens pour y parvenir ne sont pas explicités.  Que « la clé du succès » réside dans « la volonté politique des élites du Sahel » constitue un acte de foi qui ne suffit pas à contrebalancer une vision globalement pessimiste qu’assombrit, s’il en était besoin, un épilogue exprimant la nostalgie d’un monde perdu.                                                                                                   



[2] Serge Michailof, Alexis Bonnel, Notre maison brûle au sud. Que peut faire l’aide au développement, 2010, Fayard.

[3]Paul Collier, Exodus, how migration is changing our world, 2013, Oxfod University Press. Michèle Tribalat, Assimilation, la fin du modèle français, 2013, Editions du Toucan.