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Les mémoires dangereuses suivi d'une nouvelle édition du Transfert d'une mémoire

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Recension rédigée par Michel David


            Après les nombreux livres qu’il a déjà consacrés à l’Algérie, l’historien Benjamin Stora publie un nouvel ouvrage dont seule la première partie est inédite. La deuxième est une réédition revue et corrigée d’une publication antérieure, Le transfert de mémoire. Ces deux composantes des Mémoires dangereuses ont pour propos central l’analyse des différentes interprétations mémorielles, par les Algériens d’une part et, côté français, par l’OAS et le Front national d’autre part, des évènements survenus en Algérie depuis Sétif en 1945 jusqu'à la guerre d’Algérie et les conséquences politiques de ses déflagrations des deux côtés de la Méditerranée.

            La rencontre de l’auteur avec l’écrivain Alexis Jenni, Prix Goncourt 2011 avec L’art français de la guerre, a donné lieu à un long dialogue retranscrit en première partie du livre. Il se situe alors que les attentats terroristes de 2015 à Paris viennent d’ensanglanter la capitale. Aussi les deux interlocuteurs adoptent-ils un triple prisme d’analyse, le recours à la violence pour parvenir à des fins, la remontée des extrêmes identitaires, la réactualisation de la place de l’islam par rapport à la République.

            L’Algérie coloniale puis l’indépendance ont donné naissance à ce que l’auteur appelle « un sudisme à la française », état d’esprit qui se rapporte à la fois à la colonisation et à la décolonisation, celui des Français d’Algérie, celui des Algériens immigrés et celui des pieds-noirs rapatriés. Les thèses du Front national ont leur origine historique dans le passé colonial de l’Algérie. Ce concept inspiré du Sud des Etats-Unis fait apparaître à la fois les diversités culturelles et les difficultés liées au débat entre assimilation et intégration. Le « choc » de janvier et novembre 2015 a fait ressurgir le spectre de la violence et de l’illégalité au cœur même de la société française comme  l’avait fait en Algérie la guerre civile des années 1990.

            Plus ancien bien qu’actualisé dans sa réédition, Le transfert de mémoire commence par une définition de ce « sudisme » emprunté au précédent américain de la guerre de Sécession. Rédigé plus de quinze ans avant le dialogue avec Alexis Jenni, ce texte  développe en fait ce qu’il a repris plus tard dans son entretien avec Jenni. Le lecteur ressent alors une certaine répétition, en plus argumentée, de ce qu’il a déjà lu. Il eût mieux valu, semble-t-il, inverser l’ordre des parties du livre et mettre le dialogue en seconde partie. Cette remarque de pure forme n’enlève rien à l’intérêt de la référence au Sud américain.

La deuxième partie tend à situer les mécanismes de transmission de ce « sudisme » vers la société française à travers les générations issues de cette période, profondément marquées par les blessures de toutes sortes, physiques, psychologiques, laissées par cette guerre. Les rapports entre l’Algérie coloniale et le mouvement de Jean-Marie Le Pen sont évoqués à travers l’implication personnelle du fondateur du Front national, sa période militaire pendant la guerre, son adhésion aux thèses de l’OAS et à l’Algérie française, son opposition au Général de Gaulle et à l’indépendance. L’OAS a joué un rôle majeur dans la formation du Front national.

Les attitudes mémorielles des deux groupes concernés, les pieds-noirs et les Algériens immigrés font l’objet de la troisième partie. Elles s’opposent par des comportements de racisme ordinaire et la violence des mots, qui ont constitué un terreau éminemment favorable  pour l’essor de l’idéologie du Front national.

            Dans sa dernière partie, l’auteur revient sur deux drames qui ont encore un retentissement considérable dans les mémoires de la guerre d’Algérie. Contrairement à la logique chronologique, il évoque d’abord les évènements du 17 octobre 1961 à Paris puis ceux du 8 mai 1945 à Sétif. Il souligne enfin que la reconnaissance officielle par la France de la «  Guerre d’Algérie » est intervenue très tardivement en 1999.                                                                                                                  



 
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