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Le monde musulman du XIe au XVe siècle

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Recension rédigée par Jean Martin


            Cet ouvrage de dimensions modestes (191 pages) est un précis qui révèle les remarquables qualités de synthèse de son auteur, professeur d'histoire médiévale à l'université de Paris IV - Sorbonne. Il rendra les plus grands services aux spécialistes, aux étudiants en histoire du moyen-âge en général et dans le monde musulman en particulier et même au public cultivé. En dix chapitres, chacun pourvu d'une brève orientation bibliographique, agrémentés de citations, de cartes, de documents commentés et d'une iconographie bien choisie, le livre passe en revue cinq siècles d'histoire du monde musulman. Le XIe siècle a été pris comme point de départ par ce qu'il constitue, selon l'auteur, un «  tournant de l'histoire »  (p. 5). C'est quand même oublier que l'histoire est faite de tournants, même si on peut discerner des articulations majeures. Or le XIe siècle balise le début d'une ère de turbulences qui vont annoncer la fin de la domination des Arabes sur le monde musulman et peut effectivement être considéré comme une étape capitale. C'est aussi le point de départ de la montée en puissance économique du monde chrétien occidental qui a pour corollaire le déclin du monde musulman.

            Les faiblesses structurelles de l'empire musulman et notamment le morcellement du Califat sont bien décrites au premier chapitre de même que la prise de pouvoir par des peuples nouveaux : Berbères almoravides et almohades, Turcs seldjoukides, ce qui va entraîner une décadence intellectuelle. Le deuxième chapitre nous offre un excellent tableau du califat fatimide aux XIe et XIIe siècles avec une bonne description de sa machine administrative et militaire. Ce brillant empire shi'ite finira par s'effondrer, sans doute plus sous les coups des coteries militaires que sous le choc des croisades. Les Fatimides laissèrent derrière eux une Egypte prospère avec un commerce florissant et une grande activité intellectuelle et artistique.

            Le troisième chapitre est consacré à l'entrée en scène des Turcs seldjoukides, conquérants venus de steppes mais déjà islamisés, qui vont se poser en défenseurs du califat sunnite. Ce nouveau pouvoir allait apporter des changements notables à la société avec une aristocratie militaire de timariotes et une aristocratie religieuse d' « ulama » sunnites. Au milieu du XIIIe siècle, la société musulmane du Proche-Orient allait subir de nouvelles et profondes transformations sous l'impulsion des dynasties Zankide (de Mossoul) et Ayyubide (fondée par Saladin) qui surent instaurer un ordre militaire strict, faire face aux Croisés et reprendre Jérusalem. Leur histoire est relatée au chapitre IV.

            Le chapitre V nous décrit le redoutable choc des invasions mongoles qui s'abattit sur le Proche-Orient musulman au milieu du XIIIe siècle. La prise de Bagdad par les armées du khan Hulagou (1258) fut l'exploit le plus spectaculaire des envahisseurs. Plusieurs principautés mongoles se partagèrent l'empire, mais les Mamelouks parvinrent à lesrepousser et en deux siècles, les Ottomans allaient édifier leur Empire en Anatolie, berceau de la dynastie, et dans les Balkans.

            Le VIe chapitre traite de l'Occident musulman au cours de la période concernée.  Des dynasties puritaines de marabouts venus des régions sahariennes s'emparent du pouvoir, accomplissent un considérable effort de redressement puis s'amollissent et finissent par être écartées. Telle fut la destinée des Almoravides (Abdallah ibn Yasin et Yusuf ibn Tachfin) et de l'émirat almohade fondé par le mahdi Ibn Tumart. L'arrivée des tribus bédouines (Banu Hilal, Banu Sulaym, Maquil) ce « vol de sauterelles » décrit par Ibn Khaldun, et la chute
d'Al-Andalus allaient considérablement transformer la société maghrébine. Dans le même temps la sensibilité religieuse des populations évoluait vers le soufisme et le maraboutisme, caractérisé par le culte des saints et des reliques.

            Les chapitres VII et VIII nous dépeignent l'évolution de la société (7) et de l'économie (8) du monde musulman au cours des cinq siècles. Nous assistons au renforcement de l'Etat des villes, dominé par la cour du sultan, les militaires et les ulama au détriment des paysans foulés d'impôts, souvent soumis au métayage à la quinte part (khamessat), qui s'islamisent progressivement, ce qui ne les dispense pas de devoir s'habituer à la courbache (s'ils en avaient perdu l'habitude…). Dans le domaine économique le monde musulman perd progressivement sa place prédominante au profit de l'Europe occidentale chrétienne.

            Au chapitre IX, on lira de bonnes pages sur la consolidation de l'orthodoxie sunnite par les écoles juridiques (madhahib) et le soufisme  tandis que le shi'isme, qui était parvenu à créer un Etat solide, a tendance à se fractionner en multiples sectes (Ismaéliens, nizaris, duodécimains, zaïdites).

            Le dixième et dernier chapitre nous donne un panorama de l'évolution intellectuelle du monde musulman à cette époque. En dépit de la multiplicité des foyers de pensée, la civilisation islamique médiévale a alors jeté ses derniers feux, c'est la fin des grands courants spéculatifs, et le conservatisme répétitif des milieux religieux débouche sur la sclérose, annoncée par  Ibn Khaldun. On arrive ainsi à la fermeture de l'ijtihad.

            Les pages 145 à 175 nous proposent quelques documents variés, pourvus de commentaires et particulièrement instructifs. Nous avons lu entre autres une relation de la bataille de Manzikert (1071) p. 153, une relation de la fondation de la ville de Rabat par le premier calife almohade  Abd al-Mu'min (1150) p. 160, un texte d'Al Maqrizi sur la condition des Dhimmis (p. 166). On notera quelques inexactitudes: le Maroc n'a jamais été inclus dans l'Empire fatimide contrairement à ce que la carte de la page 33 pourrait laisser penser.

            Une bibliographie (limitée à 47 titres essentiels), une chronologie, un  glossaire et un index constituent autant d'instruments utiles pour la lecture de cet ouvrage, qui conviendra à un public profane désireux d'enrichir ses connaissances sur le phénomène musulman à une grande époque de son histoire.