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L'eau, le feu et le Makhzen : la rive nord-ouest saharienne

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Recension rédigée par Jean Nemo


Ouvrage de socio-anthropologie savant, il présente un appareil critique solide. L’auteur enseigne à l’Université Mohammed V à Rabat. Il est également chercheur à l'Institut universitaire de la recherche scientifique (IURS). Il semble ne passe limiter à des activités de type strictement universitaire puisqu’il a proposé au début des années 1990 un schéma de régionalisation et qu’il appartient (ou a appartenu) au CORCAS (Conseil royal consultatif pour les affaires sahariennes).

Le domaine qu’il analyse se situe dans l’ancien Sahara espagnol dont on sait qu’il fait l’objet, depuis des décennies, d’un conflit plus ou moins insurrectionnel (le Front Polisario), régional (l’Algérie) et d’une mainmise de fait par le Maroc, justifiée par une revendication formelle de souveraineté.

Spécialiste de cette région sahraouie, il traite ici non pas d’une anthropologie statique mais des racines anciennes des sociétés nomades concernées, de leur récente évolution suite à la fois d’une certaine urbanisation, du maintien de la chefferie sous des formes adaptées aux différents contextes politiques.

Racines anciennes : une « tradition académique ouest saharienne » : ici, le terme « académique » ne doit pas être pris au sens universitaire mais bien d’un corpus cosmogonique, rassemblé par les « maîtres des sciences et du sacré ». Corpus trop ignoré des ethnologues et autres anthropologues du passé et d’aujourd’hui. Or, d’après l’auteur, parmi d’autres sources, ces sciences ésotériques ou occultes ont beaucoup apporté à l’islam et sans être aussi prégnantes qu’autrefois.

Racines anciennes encore : l’identité linguistique, celle des « azenaga » (langue berbère, parlée du sud du Maroc au nord du Sénégal), qui reste aujourd’hui l’un des marqueurs significatifs, les adaptations modernes ou récentes d’une organisation familiale ou clanique restée présente dans les mémoires et les représentations identitaires.

Mais ces racines anciennes et leur rôle aujourd’hui sur le plan social et politique doivent être retenues et analysées de façon dynamique. Comme le dit l’auteur dans son introduction, « Dès le premier chapitre, nous montrerons que la recherche prend conscience de l’avancée urbaine du Sahara et de l’intérêt scientifique de la ville qui n’apparaît plus d’abord comme une créature étrangère, mais qui est à la fois représentation de l’État, de l’économie marchande et de la modernité. ».

Dans une étude plus approfondie de l’ouvrage, on comprendrait, parmi d’autres éléments, le rôle ambivalent d’Internet à la fois dans l’adaptation aux temps modernes et dans la sauvegarde des racines anciennes, évidemment revues, corrigées et réinterprétées. Tout comme la survie, également réinterprétée en fonction d’un contexte régional et national nouveau, de la chefferie.

On y découvrirait aussi comment se maintient et s’adapte une notion ancienne du Makhzen et de ses rapports avec les tribus. Certes le mot est aujourd’hui banni du langage officiel, la réalité sociologique et politique subsiste et explique en partie les rapports compliqués entre les entités sociales et politiques au niveau central et au niveau régional.

Un tel ouvrage ne peut esquiver des questions délicates, même si l’auteur, on peut le comprendre, les aborde avec prudence et réserve.

Il plaide tout d’abord pour une sauvegarde de l’héritage culturel Hassaniya. Il aborde ensuite la relation entre la conscience identitaire et le nationalisme au Sahara. Mais il ne traite pratiquement pas des positions sur les mêmes sujets du Polisario. Mais plutôt du point de vue du chercheur engagé, contradiction des termes mais est-il de recherche, au moins dans les sciences sociales, qui puisse rester aussi neutre qu’à propos de la recherche du boson de Higgs ?

« Certains axes peuvent être privilégiés dans le cadre de deux questions : en quoi les indépendantistes mettent-ils en cause le principe même de la souveraineté, notamment par la détention de l’autorité suprême, c’est-à-dire d’un pouvoir absolu dont tous dépendent, et inconditionné, c’est-à-dire indépendant de qui que ce soit ? En quoi l’affirmation de l’indépendantisme pose-t-elle le problème, très actuel dans le contexte de la mondialisation, des formes d’empiètement sur la politique des États territoriaux et des nouvelles échelles du pouvoir, du local au global ? ».

À qui est déjà familier des grandes lignes géopolitiques locales, de la sociologie, des différentes recherches ethnologiques anciennes et plus récentes, des enjeux en cause, cet ouvrage apportera des informations et des interprétations fort intéressantes. La lecture sera plus ardue pour le lecteur généraliste. Ce d’autant plus, réserve mineure, que l’introduction ne fournit pas de ligne directrice claire et qu’une conclusion brille par son absence.

Plusieurs chapitres cependant se terminent par leur propre conclusion. D’où l’impression que l’on a affaire ici à une série de monographies ou d’essais. Du reste, l’auteur lui-même y invite en fin d’introduction : « L’ouvrage présente plusieurs éléments (critique des États nations, de l’histoire, de la connaissance, du vocabulaire, des hiérarchies et des territoires) qui permettent un éclairage original sur les dynamiques sociales, culturelles, politiques et économiques par des approches critiques en études internationales ».

Il n’est pas imprudent de dire qu’en France, hors actualités spectaculaires (la marche verte..), on connaît mal la question du « Sahara occidental » et l’on oublie souvent que le Maroc est absent des tables de l’OUA en raison même de ses revendications sur ledit Sahara.

Malgré quelques faiblesses éditoriales, le lecteur « honnête homme » trouvera donc intérêt à parcourir cet ouvrage, même si cela demande un effort.                                                                                                    



 
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