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Voici venir les rêveurs : roman

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Recension rédigée par Jean Nemo


            La parution dans sa traduction française de ce roman publié aux USA a suivi de fort peu, fait relativement exceptionnel, sa parution initiale. En fait, l’éditeur signale la « simultanéité » des deux. S’agissant d’un premier roman, on notera donc une bonne opération de lancement, marquée de rumeurs anticipatrices et d’un « marketing » (pour parler bon franglais) efficace. À tel point que l’éditeur aurait, selon des rumeurs que je n’ai pas vérifiées, modifié le titre initial choisi par l’auteure (The Longings of Jende Jonga) pour le titre actuel.

            On notera également qu’au moins une autre auteure d’origine nigériane et par conséquent anglophone a récemment publié un roman sur le même thème, celui d’Africains qui tentent de s’insérer dans la société américaine, non sans difficultés ni mécomptes, et des liens parfois contraints qu’ils conservent avec leur milieu d’origine (Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie, 2014). Mais on ne se risquera pas ici à mener une étude comparative, de tels récits ou romans étant encore trop peu nombreux pour devenir un genre à part entière.

            Compte tenu du parcours de l’auteure, elle-même immigrée tôt aux USA pour y poursuivre ses études, depuis une petite ville du Cameroun anglophone, on peut supposer qu’elle écrit d’expérience. Mais ce n’est pas son histoire qu’elle raconte, fût-elle romancée.

            Évoquons donc tout d’abord et linéairement la trame romanesque.

            Dans son milieu d’origine, le « héros », Jende Jonga, n’est pas très bien vu par la famille de l’ « héroïne », Neni (pourtant déjà mère)  parce qu’insuffisamment fortuné et contraint à des tâches subalternes cependant sublimées, telles que, comme l’indiquera son CV, préparé à New-York plus tard par un bénévole « fermier responsable du labourage des terres et de la bonne santé des récoltes, cantonnier chargé de préserver la beauté et la rutilance de la ville de Limbé ». En conséquence, les deux jeunes gens se marieront dès la venue sur le sol américain de Neni et de son fils Liomi, tout jeune porteur de l’alliance.

            Une famille jeune (deux époux et leur enfant), immigrée de ce Cameroun anglophone (de l’une des villes du Sud-Ouest, Limbé, ex Victoria des Anglais), avec un court visa de tourisme, donc rapidement immigrés clandestins, se bat pendant des années pour obtenir sa régularisation. La jeune femme poursuit des études de pharmacie et le jeune homme, quoique raisonnablement instruit, a eu du mal à trouver dans son pays d’origine un emploi correspondant à sa formation et doit accepter dans son pays d’immigration un emploi subalterne de chauffeur de maître. Comme le décrit le CV ci-dessus mentionné, il exerce d’abord les emplois de « chargé de vaisselle dans un restaurant de Manhattan, veillant à ce que les clients mangent dans des assiettes sans traces ni microbes, taximan officiel dans le Bronx, responsable du bon acheminement des passagers ».

            Dès la première page, à l’évocation de ce CV, on devine que le roman ne manquera pas de traits d’humour et l’on ne sera pas déçu. Lequel CV sera à peine lu lors d’un entretien d’embauche, longuement préparé par Jende, assisté pour ce faire de sa femme Neni. Lequel Jende apprendra qu’il a bénéficié d’un appui sérieux de l’un de ses cousins, Winston, qui n’a pas hésité à débiter des mensonges laudateurs au futur employeur.

            Il se trouve que cet employeur est l’un des dirigeants (blancs, naturellement) de la Lehman Brothers, celle d’avant la crise des subprimes, Clark Edwards. Lors du premier entretien d’embauche, est décrite l’allure empruntée de Jende, engoncé dans un complet qui ne plaît guère au futur employeur, ses efforts pour garder son sang-froid, la quasi-pacte de confiance réciproque dès lors passé. Puis vient l’annonce de l’embauche à trente-cinq mille dollars, l’opulence pour tout dire, celle qui permettra un meilleur logement, le financement des études de pharmacie de Neni.

            En soixante-deux brefs chapitres, constituant cependant un épais roman, sont menées tambour battant les relations de subordination mais aussi de confiance entre le chauffeur de maître et son riche employeur, l’insertion dans les milieux africains d’immigration récente et souvent depuis longtemps clandestine, les pérégrinations dans les différents quartiers de
New York, la façon dont le maître a licencié son chauffeur, le chantage rentable auquel s’est livrée Neni, au désespoir désapprobateur de Jende, enfin et au dernier chapitre, le retour au pays avec un petit magot, l’espoir d’obtenir la « green card » s’étant avéré vain.

            De style alerte, aux dialogues vivants, voici un bon roman que tout amateur du genre romanesque lira sans ennui. S’y ajoutent, dans le cas particulier, la description d’une société cloisonnée, toujours en partie raciste et, raison du titre retenu par l’éditeur, les rêves qui font vivre et endurer et les rêves qui s’achèvent.                                                                                                              

 



 
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