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Djibril ou les ombres portées : roman

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Recension rédigée par Hubert Loiseleur des Longchamps


            Mahamat Saleh Haroun est un cinéaste tchadien qui livre ici son premier roman. Né en 1961, il s’est installé en France en 1982, après avoir été blessé durant les combats pour le contrôle de la bande d’Aouzou entre le Tchad et la Libye. Il a été nommé ministre du développement touristique, de la culture et de l’artisanat dans le gouvernement tchadien du 5 février 2017.

            Ce roman raconte l’histoire d’un jeune adolescent tchadien prénommé Djibril, ayant assisté très jeune, dissimulé sous un lit, à l’enlèvement de ses parents et de ses deux sœurs par la police politique du pays. N’ayant plus de nouvelles de sa famille, il est devenu un enfant solitaire vivant dans les rues d’Abéché, et son seul interlocuteur est le père Francisco, un prêtre rwandais responsable d’une paroisse locale, qui appelle son protégé Gabriel en souvenir d’un jeune Rwandais qu’il avait mortellement heurté lors d’un accident de voiture.

            Djibril vit de vols à l’étalage dans le marché mais, grâce à son protecteur, sait lire et écrire - il rédige un journal dans un cahier d’écolier. Ayant accès à la bibliothèque du prêtre, il s’enthousiasme pour Candide, son livre préféré. Il fait preuve d’un regard d’adulte dans un univers marqué par la guerre et par l’omniprésence de la police politique, appelée « CDS » - Centre de documentation et de sécurité, à laquelle il est préférable d’échapper, car les arrestations sont fatales pour ceux qui en sont l’objet.

            Le héros du roman déploie ses talents à échapper à cette police maléfique et cruelle, tout en prenant des risques élevés pour s’approcher d’une jeune fille, Hilwa, promise au Maire d’Abéché pour devenir sa quatrième épouse, et qui est loin d’être insensible aux avances de Djibril auxquelles elle finit par succomber.

            Mais Djibril est capturé par le CDS au cours d’une rafle, et enfermé dans une geôle sordide où les cadavres s’entassent en compagnie d’un seul survivant, un journaliste local commentateur sportif à la radio. Le père Francisco parvient à extraire Djibril des griffes du CDS. A sa sortie de prison, Djibril prend le nom du journaliste emprisonné, et placarde des affiches en ville pour demander sa libération.

            Djibril s’installe alors dans la masure que le prêtre a désertée et laissée à son protégé. La police le déloge à nouveau, mobilisée par les plaintes du voisinage qui soupçonne le jeune homme de sorcellerie, après une révolte d’un singe savant vis-à-vis de son maître un jour de marché, et des pluies diluviennes et exceptionnelles sous cette latitude. Commence aussitôt le procès du jeune homme, condamné à mort par les juges des deux confessions musulmane et chrétienne. Mais une bande de singes s’introduit dans le prétoire et provoque la suspension du procès qui reprend le lendemain. Reconduit dans sa cellule en attendant l’exécution, le jeune homme est délivré par le singe savant qu’il avait protégé au marché, et qui s’avère être un homme dirigeant une « Confrérie des révoltés », qui s’est soulevée contre la dictature.

            Djibril retrouve Hilwa au village des révoltés, et part en mission à Abéché où il trouvera la mort après avoir lancé une grenade au milieu de la foule.

            Ce roman décrit une situation qui, si elle ne correspond peut-être pas entièrement à la réalité, est tout à fait vraisemblable. Un dictateur prend le pouvoir, crée les conditions d’une terreur à l’égard d’une population appauvrie et soumise, qui n’a pas d’autre choix que de faire le dos rond ou de collaborer, face à un adversaire surarmé et qui maîtrise l’information. La peinture des conditions d’emprisonnement ou des hôpitaux lors des épidémies sont d’une authenticité vécue. Le roman est écrit à la première personne, et on se passionne sans difficulté pour les aventures de Djibril.