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Dits de la nuit : anthologie de contes et légendes de l'Afrique centrale (Congo, Rwanda et Burundi)

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Recension rédigée par Jean Martin


     En collaboration avec la maison d’édition bruxelloise MEO, les Archives et Musée de la littérature (Bruxelles) ont entrepris la réédition de ce recueil de contes et de traditions orales d’Afrique centrale (Burundi, Congo, Rwanda,) précédemment publié par les Editions Labor en 1994. Véronique Jago-Antoine et Antoine Tihitungu-Tongolo, membres de la cellule « fin de siècle » de Bruxelles, ont procédé à une intelligente sélection de textes parmi des recueils de littérature orale émanant de missionnaires (qui souvent se firent linguistes ou ethnographes improvisés) ou de chercheurs de toute espèce parmi lesquels des membres de l’aristocratie belge, des articles de presse, des publications diverses. Beaucoup de ces contes ont été recueillis au pays des Mille Collines (Mafumbiro), autrement dit des anciens royaumes nilotiques du Rwanda et du Burundi. Un certain nombre de ces contes ont été traduits de la langue kinyarwanda, notamment par les soins d’Alexis Kagame. 

     Le titre est très heureusement choisi. Sous tous les climats, la nuit close est par excellence le temps des contes, celui où les aïeules évoquent les légendes et les récits d’antan. Ceci est plus vrai encore de l’Afrique subsaharienne, longtemps restée sans écriture, terre par excellence des traditions ancestrales, et l’on ne peut s’empêcher de penser au vers de Senghor « Ecoutons la voix des anciens d’Elissa, comme nous exilés ! ».

     Docteur en philosophie et lettres, éminent spécialiste de Rimbaud, l’écrivain Marc Quaghebeur, qui a enseigné au centre international d’études francophones de la Sorbonne (Paris IV) est aujourd’hui directeur des Archives et du Musée de la Littérature à Bruxelles. Nous avons déjà, en ces colonnes, recensé un ouvrage préfacé par ses soins[2]. Il a donné à cette anthologie une brillante préface dans laquelle il observe très justement que tous les groupes humains ont éprouvé le besoin de dire, à leur manière, l’origine du monde, de définir leur cosmogonie, d’évoquer les rapports entre hommes et femmes. Tout ceci demeurait dans la fluidité de la parole jusqu’à ce qu’apparut l’écrit. Avec lui ou peu après, apparurent les Etats, les Empires. La langue, codifiée et désormais lisible et visible, changea de statut. D’espace, elle devint lieu et se trouva, selon Quaghebeur, universalisée.

     Au dix-neuvième siècle, l’arrivée des Européens en Afrique noire se traduisit par un double choc : l’Afrique face à l’Europe, l’oral face à l’écrit.

     Une première partie nous présente une douzaine de contes relatifs aux origines du monde et de la vie : nous avons particulièrement retenu : « autrefois le Ciel et la Terre » (p. 16), « Le Soleil et la Lune » (p. 17), « Naissance d’un lac » (origines mythiques du Lac Kivu, p. 19), « Comment le Chagrin est venu parmi les hommes » (p. 27), « Le Soleil, la Pluie, le Vent et la Nuit et l’Ombre » (p. 28).  « L’homme et la mort » (p. 38).

     Les deux chapitres suivants nous présentent l’un des contes « initiatiques et moraux » et l’autre des fables animalières, formant un bestiaire humoristique et satirique. Nous avons lu avec intérêt « Le père et ses trois fils » (p. 55). « La Famine » (p. 66). « La Gazelle et l’Eléphant » (p.87), « L’Hirondelle et le Crapaud » (p. 85), « La Tortue, le Crocodile et le Héron » (p. 99).

     Viennent ensuite des contes merveilleux : « La fille d’argile » (p.114), « Les mystères de la forêt » (p. 116), « Le tambour de la pluie » (p. 119) et pour finir des contes sentimentaux : « Le guerrier d’Ebène » (p. 153), « Le Beau Yamba » (p. 176).

     Sous le titre « Lecture » (pp.191-221) les deux présentateurs nous ouvrent d’intéressantes pistes de réflexion, utiles pour l’interprétation des textes en dégageant les grands thèmes fondateurs du conte: parole fondatrice, rites de la veillée, valeurs familiales. Un lexique et une série de notices bio-bibliographiques des contributeurs-traducteurs (ou écrivains adaptateurs) rendront de grands services au lecteur.  Il en va de même de l’orientation bibliographique (fictions, anthologies, documents et essais, actes de colloques) qui figure en annexe. Au total un ouvrage de dimensions modestes mais qui apporte sa pierre à l’édifice de l’unité culturelle de l’Afrique subsaharienne.                                                                                           



[2]Littérature de langue française au Burundi (cote 59.690)