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Migrations, réfugiés, exil

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Recension rédigée par Jean Martin


            Les instances dirigeantes du Collège de France ont décidé de consacrer leur colloque de rentrée d’octobre 2016 au thème du déracinement et du fait migratoire. L’historien médiéviste Patrick Boucheron, professeur au Collège, chargé de la coordination préliminaire du colloque, a eu l’intéressante idée de faire précéder celui-ci par une table ronde rassemblant des intervenants éventuels sur le thème : « Une crise européenne ? Les sociétés face aux migrants » et Alain Prochiantz, administrateur du Collège, lui en rend hommage en rappelant que l’institution a toujours su faire preuve d’hospitalité intellectuelle et s’ouvrir à tous les courants de l’esprit, n’étant pas le collège « d’une France recroquevillée ».

            On estime à 244 millions le nombre de migrants dans la population mondiale. Ce n’est bien sûr qu’une approximation, et sur ce total, 100 millions seraient des « migrants forcés ». Sans doute mais qu’est-ce que des migrants forcés ? Ceux que la guerre civile, les circonstances politiques ou tout autre aléa de l’histoire ont chassés de leur terre natale ?  Est-ce que la misère ou la grande pauvreté ne sont pas des formes de contrainte ?

            Le présent ouvrage regroupe les 15 contributions présentées au colloque, auxquelles s’ajoutent 5 de celles qui ont été présentées à la Table Ronde. De la première partie « Des mouvements et des hommes » nous avons retenu celle de Jean-Jacques Hublin (Max Planck Institut, Leipzig, et Collège de France) intitulée « 200 millions d’années de migrations », qui nous rappelle que les migrations (principalement des zones chaudes vers les régions tempérées ou froides) sont inhérentes à l’espèce humaine dès ses origines et celle de Dominique Charpin (Collège de France) qui évoque le mur des Amorrites à Sumer,  dans lequel cet auteur est tenté de voir un premier exemple de « mur anti-migrants ». Mais à quoi ces murailles ont-elles servi dans l’histoire, de Sumer à Berlin en passant par la Chine et tant d’autres exemples ? A bercer de vaines illusions ceux qui pensaient y trouver un abri, bouclier contre les« autres » avant de s’effondrer un beau jour ?

            Ecrire l’histoire des migrations est une tâche ardue et un but ambitieux qui a inspiré les réflexions des quatre contributeurs de la deuxième partie. Pierre Briant (Collège de France) s’interroge sur le métissage dans le Proche Orient hellénistique et Benjamin Stora (Université de Paris 1) se pose trois questions sur les diverses phases de l’immigration algérienne en France.

            La troisième partie est intitulée : « Exode, exil, asile ». Sébastien Balibar (CNRS) et Diane Dosso (ENS) nous rappellent comment deux savants en exil à Paris, l’Allemand Fritz London et le Hongrois Laslo Tisza ont en 1938 fait faire un progrès décisif à la physique quantique. La France de Vichy ne leur en fut guère reconnaissante : Frédéric Joliot eut souhaité voir London demeurer en France, mais ce dernier qui redoutait la montée de l’antisémitisme alla se réfugier aux Etats Unis en 1940 et Tisza en fit de même, via Lisbonne, l’année suivante. De nombreux autres savants avaient trouvé qui refuge en France et la communication nous apprend qu’une cinquantaine d’entre eux purent passer en Angleterre à bord d’un navire charbonnier britannique parti de Bassens le 18 juin 1940, date symbolique...

            Annie Cohen-Solal (Université de Caen et ENS) qui s’intéresse à l’immigration des artistes, retrace l’itinéraire du peintre Mark Rothko, juif russe établi très jeune aux Etats-Unis où il s’est suicidé en 1970 qui s’était fait connaitre pour avoir organisé avec quelques compagnons d’exil du « groupe des irascibles », une véritable insurrection d’artistes contre le monopole du Metropolitan Art Museum, forteresse du conservatisme artistique, hostile à l’art d’avant-garde.

            Pour beaucoup d’exilés, l’exode s’est accompagné d’un trauma. Marie-Caroline
Saglio-Yadzimirski, psychologue clinicienne à l’hôpital Averroès et spécialiste d’anthropologie de l’Asie du Sud-est asiatique analyse le comportement d’un certain nombre de réfugiés de cette région, les souffrances qu’ils ont subies, et décrit les efforts accomplis dans son service pour redonner à des patients éprouvés, une place dans le monde commun.

            Alain Tarrius (Université de Toulouse Le Mirail) nous livre une intéressante étude des itinéraires des migrations contemporaines internationales et intranationales.

            La quatrième partie analyse les rapports entre crise des rapatriés et crise de l’immigration. Hélène Thiollet apporte d’intéressants éclairages sur l’émigration érythréenne, cantonnée dans des pays pauvres de la Corne d’Afrique. Danièle Lochak (Paris Nanterre, spécialiste des droits de l’homme) étudie, sous le titre : « Protéger ou refouler » les rapports entre droit d’asile et politiques migratoires.

            Bien d’autres contributions, notamment celles de la table ronde, auraient mérité une analyse approfondie si le temps ne nous avait fait défaut. Nous espérons que les auteurs en question ne nous en tiendront pas rigueur.

            « Il n’est qu’une seule espèce humaine sur la Terre, et cette espèce est migrante » nous rappelle opportunément Patrick Boucheron dans la conclusion de ce recueil qui honore l’institution prestigieuse qui a tenu le colloque. Et il ajoute que l’Europe est devenue une terre d’immigration au même titre que les Etats Unis. Cet ouvrage, nous dit-il, attend de nous, avant toute chose, de la considération.  Le lot d’un grand nombre d’hommes est d’être sans trêve jetés vers de nouveaux horizons, et le pire est que beaucoup d’autres ne le savent pas. Il n’était pas inutile de le leur rappeler.