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Les présidents et la guerre, 1958-2017

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Recension rédigée par Jean de La Guérivière


Sans doute parce qu’il commente depuis longtemps les défilés du 14 Juillet sur France 2, la photo de l’auteur apparaît en grand sur la couverture de ce livre. Pourtant, il ne faudrait pas voir dans cette publication une simple exploitation commerciale de l’effet « Vu à la télé ». Ancien spécialiste des questions militaires au journal Le Monde, conseiller ministériel, enseignant à l’École de guerre et colonel de la réserve opérationnelle, Pierre Servent est beaucoup plus qu’un bonimenteur médiatisé.

            Plutôt qu’un bilan opérationnel des mandats présidentiels de la Ve République, ces pages constituent une explication psychologique du rapport complexe de sept chefs d’État avec l’Armée. En commençant, bien sûr, par de Gaulle, seul militaire de carrière parvenu à l’Élysée au cours de cette période. Servent a visiblement pris un plaisir d’écrivain en analysant son conflit œdipien avec le maréchal Pétain. Ensuite, il a bien cerné le drame de la décolonisation vécu sous l’uniforme : « Conformément à son autisme affectif quand il s’agit des affaires de l’État, de Gaulle s’y prend de telle manière qu’il va profondément heurter la conscience de nombreux militaires qui ont cru à la présence éternelle de la France ».

            On trouvera dans ces pages d’intéressantes précisions sur le rôle joué par Pierre Messmer, ministre des Armées sous de Gaulle et Premier Ministre sous Pompidou, notamment en matière de nucléaire militaire. Servent est peut-être le premier à décrire comment la détention du feu nucléaire transforme la fonction présidentielle, celle à laquelle la remise du code secret de cette arme confère une sorte d’onction. Il a tendance à penser qu’après de Gaulle et Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, n’endossa pas vraiment le rôle, tout en se montrant très décomplexé en matière d’opérations conventionnelles. Le propre des présidents français, jusqu’à Emmanuel Macron, c’était d’avoir fait leur service militaire. Comme officiers, tels Pompidou, Giscard et Chirac, ou comme sous-officier, tel le sergent Mitterrand mobilisé sans aucun galon. Tous les quatre avaient été décorés au feu. Le seconde classe Sarkozy et le sous-lieutenant du génie Hollande (gradé en tant qu’énarque) ne pouvaient pas avoir le même rapport intime avec la guerre, quoique tous, remarque Servent, eussent globalement été à la hauteur de la magistrature suprême comme chefs des armées.

            Tchad, Côte d’Ivoire, Mali : l’Afrique occupe évidemment une partie de ces pages. « Il se passe toujours quelque chose au Tchad », lit-on déjà au chapitre Pompidou. Puis, à lalumière du coup d’arrêt que nos Jaguar donnèrent à la marche d’éléments rebelles et de Libyens vers N’Djaména, alors tenu par le général président Maloum, on comprend mieux pourquoi Giscard d’Estaing relata cet épisode « dans un style fait de solennité et de réaction enfantine », caractéristique de son livre Le Pouvoir et la Vie. Plus tard, en 2008, un autre président tchadien, Idriss Déby, se trouve en mauvaise posture devant une nouvelle offensive rebelle. Nicolas Sarkozy propose seulement son exfiltration par nos hélicoptères. Idriss, « passé par l’École de guerre à Paris », refuse de fuir et repousse les assaillants grâce à son seul courage physique et à « une utilisation astucieuse du renseignement français ». Le tout constituant « un épisode non révélé jusqu’à aujourd’hui », que l’auteur se plait à relater, en mémoire d’un « fait d’armes d’une très grande rareté en Afrique où les chefs d’État en perdition face à une rébellion choisissent généralement l’option évacuation et retraite dorée ».

            Servent est passé du journalisme à la fonction de porte-parole du ministre de la Défense, Charles Millon, et conseiller pour la communication et les relations avec le Parlement, en 1995. Cela nous vaut quelques aveux sur les trucs maison, telle une question posée par « un journaliste complice » pendant une conférence de presse présidentielle. Dans ces conditions, on ne s’étonne pas que l’esprit critique ne gouverne guère son livre. Mais, après tout, en changeant de métier, peut-être l’auteur n’a-t-il fait que pousser jusqu’à sa conséquence logique l’admiration que presque tous les reporters en viennent à vouer à l’armée française quand ils l’ont vue à l’œuvre sur les théâtres extérieurs.