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L'Algérie au XVIe siècle : histoire et réalité

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Recension rédigée par Christian Lochon


            L'auteur de cet ouvrage, intitulé L'Algérie au XVIe siècle est un médecin militaire algérien qui a tenu à ajouter un sous-titre Histoire et Réalité, lequel apparaît moins comme une précision que comme le titre d'une profession de foi apologétique tendant à transformer la ville d'Alger, alors isolée, en capitale d'un État structuré et les guerres successives entre l'Empire de Charles-Quint, allié à des souverains marocains et tunisiens, contre la ville d'Alger, à des guerres uniquement confessionnelles entre adversaires désignés comme « Chrétiens » (Espagnols, Autrichiens , Français) et des Algérois, dirigés par une dynastie grecque de corsaires, comme «Musulmans».  M. Zater regrette (p. 98) que « les voisins de l'est (Tunisiens) et de l'Ouest(Marocains) étaient souvent complices des puissances chrétiennes » (sic).

            Le Maghreb est divisé. Les luttes incessantes depuis le XIIIe siècle entre les États de Tunis, Tlemcen et Fès les ont ruinés et morcelés (p. 17). Djerba s'émancipe de la dynastie hafside et sera occupée de 1520 à 1524 par Charles-Quint (p. 92). Les villes marocaines sont autonomes par rapport à la dynastie wattasside, alliée des Algérois et remplacée en 1549 par les Saadiens, soutenus par les Espagnols (p. 215).

            Il n'existe pas au XVe et au XVIe siècle d’État algérien. La ville d'Alger dépendait de la ville de Tlemcen et payait tribut à Bougie à la fin du XVe s. (p. 41) avant d'être conquise par les Espagnols. C'est seulement en 1512 (p. 57) qu'un corsaire grec converti à l'islam, Aroudj s'empare d'Alger, ville de 12000 habitants, tandis que l’îlot fortifié du Penon dans la baie d'Alger restera aux mains des Espagnols jusqu'en 1529 (p. 111). Kheireddine, frère d'Aroudj lui succède et après avoir battu les Espagnols, il se rend à Istanbul en 1518 pour solliciter l'adhésion des territoires algérois à l'Empire ottoman. A ce moment, arrivent à Alger, à part les captifs convertis européens, des musulmans bosniaques, turcs, albanais, tatars, abkhazes, kurdes (p. 37). Alger va apparaître aux gens de mer comme le siège d'un
Etat-corsaire où la conversion à l'islam tenait lieu de nationalité (p. 83).

Une partie de l'ouvrage est consacré à ce que l'auteur appelle « l'Occident musulman »,
c'est-à-dire l'Andalousie (chapitre I), puis après la défaite de Las Navas de Tolosa, la vague des conquêtes « chrétiennes » (sic) n'est plus contenue » (p. 22). Alors, Alger utilisera sa flotte pour aller à la rescousse de 300.000 Espagnols musulmans expulsés qui peupleront les territoires algérois et l'ensemble du Maghreb. C'est à ce moment-là que les batailles entre Espagnols, Autrichiens, Français et Algérois sont interprétées comme un « jihad », guerre religieuse et captifs et morts européens sont uniquement étiquetés comme « chrétiens » ; nous ne citerons que quelques exemples: l'occupant chrétien (p. 68), les dirigeants chrétiens (p. 89), 80 chrétiens capturés à Gibraltar (p. 151) la coalition chrétienne (p. 148 et p.205), cadavres de chrétiens (p. 179), jonché de corps de chrétiens (p. 184), libérer Bougie de l'occupation chrétienne (p. 219), une ville musulmane libérée de l'emprise chrétienne (p.231), les chrétiens d'Oran (p. 239), Mostaganem attaqué par les chrétiens (p. 245), les Beni Amr n'avaient jamais pactisé avec les chrétiens (p. 242), le camp des chrétiens (p. 244).

            L'argumentation de guerre de religion ne tient pas ; l'Espagne est liée aux Mamelouks d’Égypte (p.27), aux Hafsides de Tunisie, aux Saadiens du Maroc. La France, par la signature des Capitulations, est alliée à l'Empire ottoman, qui la soutiendra contre les Espagnols. L'auteur regrette l'étrange complaisance du Sultan envers les Français et reproche à la France d'avoir mis en garde la Sublime Porte contre la politique hégémonique d'Alger et de ce fait d'avoir retardé l'unification du Maghreb au XVIe siècle. L'auteur ne s'est-il pas demandé pourquoi le Traité de l'Union du Maghreb arabe signé il y a cinquante ans n'a toujours pas conduit à l'ouverture des frontières hermétiquement fermées entre l'Algérie et le Maroc depuis une vingtaine d'années ?

            Parfois, en voulant décrire le courage des défenseurs d'Alger, l'historien amateur surprend le lecteur : « Hassan plaça au-dessus de la porte Bab-el-Oued un immense canon dont le bruit terrifiait l'homme et dont les décharges anéantissaient l'âme » (p. 166) ; quant à la justification de l'esclavage pratiqué par les corsaires d'Alger « puisque des milliers de convertis issus de l'esclavage donneront à l'Algérie une tolérance, une ouverture sur le monde, un degré de cosmopolitisme jamais atteint dans l'histoire du monde » (p. 266), ce dithyrambe laisse perplexe quand on connaît les souffrances des forçats d'Alger décrites entre autres par Cervantès.

            Cependant il faut reconnaître que l'auteur décrit bien les batailles navales (Alger, Formentera)) ou terrestres (Mazagran, Bougie), la composition des troupes dans les deux camps (p. 161) ; il a su s'inspirer des récits d'une certain nombre d'ouvrages qui figurent dans la bibliographie (p. 269 à 287). En ce sens, M. Zater a renoué avec la tradition des « foutouhat » ou récits hagiographiques des premiers temps de l'islam. Ceci devrait satisfaire les écoliers algériens du XXIe siècle.