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L'art et la race : l'Africain (tout) contre l'œil des Lumières

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Recension rédigée par Jean Nemo


Quelques mots tout d’abord sur l’éditeur, SARL, dont la diffusion est relativement confidentielle, donc difficile à trouver dans des librairies de quartier…

Anne Lafont, historienne de l’art, directrice d’études à l’EHESS, déclare dans ses « remerciements » en fin d’ouvrage avoir travaillé sur cet ouvrage pendant au moins dix ans. Ce qui ne l’a pas empêchée de publier articles, anthologies diverses, contributions à des ouvrages collectifs.

Outre son intérêt propre que l’on détaillera ci-après, cet ouvrage est donc central dans sa bibliographie. Quelques remarques éditoriales pour commencer : abondamment illustré, historienne de l’art oblige, les références de ces illustrations sont bien détaillées, la bibliographie est nourrie, plus d’une vingtaine de pages, un abondant index des auteurs cités, ce qui traduit bien la masse des informations à partir desquelles l’auteure a travaillé.

Elle décrit son « projet » dans son introduction et souhaite en faire un contrat qui la lie au lecteur, interpellation plutôt rare et intéressante.

Elle explique qu’elle a voulu en finir avec l’unicum, c’est-à-dire cet « unique » des musées, des hommes ou femmes « représentatifs » ; elle a également voulu embrasser les savoirs dans tous les domaines, naturalistes, médicaux, ethnographiques, littéraires, esthétiques ; enfin, elle a exclu de son ouvrage le terme « atlantique », car la part africaine lui était essentielle, mais c’est bien de « l’axe atlantique euro-américain » qu’elle a voulu traiter en priorité.

« L’essai », comme l’auteure définit son ouvrage, se divise en six chapitres, dans « un mouvement difficile à qualifier précisément ». Ce mouvement va de la perception, généralement dégradante, par les Blancs de ce que sont les Noirs, puis de ce que devient cette vision, sous l’impulsion des Lumières : soit des imaginaires de la couleur, blanche dans l’idéal, et qui doit composer avec la racialisation qui en résulte mais doit aussi composer avec les mouvements croissants vers plus de liberté, voire de citoyenneté.

Au passage on évoquera les « Africaneries », dont il n’est pas dit ici qu’elles précèdent de près d’un siècle et demi les entichements coûteux des « Arts nègres » et autres « Arts premiers », première appellation du musée du Quai Branly.

Dans sa conclusion, l’auteure reconnaît avoir évolué quant à ses perceptions de ce très long siècle des Lumières (1680-1830). Elle entend faire partager au lecteur – contrat de lecture oblige – les raisons de cette évolution. «… il était beaucoup plus intéressant et fécond de considérer l’œuvre des Lumières que de s’atteler à l’ensemble plus pauvre sur le plan conceptuel, de l’art du XVIIIe siècle. Et d’autant plus que le premier inclut nécessairement le second, tout en l’ouvrant à l’extrapolation. ».

Elle donne en fin de conclusion la parole à Senghor qui, à la fin des années 1950, commentait Soulages et ses variétés de noirs.

Cet ouvrage est surprenant à plus d’un titre, de par sa démarche intellectuelle modeste et qui s’appuie sur des connaissances approfondies des Arts notamment picturaux pour l’adosser à la démonstration de leurs évolutions en accompagnement d’une œuvre de réhabilitation des Hommes.

Il est d’autant plus surprenant pour une autre raison : le lecteur « contractualisé » est associé à une démarche de recherche dans laquelle le chercheur se remet en cause sans arrêt.

On ne saurait trop encourager le lecteur « érudit » souhaitant approfondir et diversifier son érudition à rechercher l’ouvrage, source de contrat avec l’auteur, et ses approches originales quoiqu’affirmées modestes. Il y a, à la lecture, une dialectique fort intéressante. Elle va de la totalité (tous les domaines, naturalistes, médicaux, ethnographiques, littéraires, esthétiques, comme il a été dit plus haut), à la spécificité des œuvres, pour repartir vers les sommets des grandes et généreuses généralisations.