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Littérature urbaine et mémoire postcoloniale

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Recension rédigée par Jean Nemo


La bibliographie de cet encore jeune auteur semble limitée à ce seul ouvrage, selon le catalogue de la BNF. C’est oublier un certain nombre d’articles ou d’entretiens, il est vrai plus volatiles. Par exemple, un entretien avec Mohammed Razane (auteur de «Au-delà de la littérature beur») ou avec Mabrouk Rachedi.

D’après la quatrième de couverture, le docteur Stève Puig enseigne à l’université Saint John’s à New-York. Il semble s’être spécialisé dans une approche croisée de la banlieue et d’une certaine forme de «postcolonialité». Dans une longue introduction (elle n’est pas mentionnée dans la table des matières), il déclare : «L’année 2005 restera dans les annales de l’histoire comme un moment-clé en ce qui concerne les liens qu’entretient la France avec son passé colonial». Rappelons qu’il y eut cette année-là une double coïncidence.

Début 2005, celle du fameux article 4 qui citait le «rôle positif de la présence française», vite escamoté suite à l’émotion provoquée par cette formulation du passé colonial. Fin 2005, la «crise des banlieues», les émeutes dans différentes banlieues, événements plus brutaux que le ou les malaises exprimés depuis les années 1980.

L’auteur y voit également la naissance d’une littérature urbaine et plus précisément «banlieusarde», («Lettre ouverte à un fils d’immigré», «Le petit Malik» inspiré du «Petit Nicolas»). Stève Puig précise en fin de cette introduction que «le corpus de base de son ouvrage consiste en grande partie de romans publiés après 2005». Le lecteur comprend dès cette introduction non répertoriée qu’il aura à faire avec une critique littéraire, sous un angle précis.

En effet, en cinq chapitres ou parties, Stève Puig analyse tout d’abord ce qu’est devenue la banlieue («du lieu du ban au lieu du bannissement»), la naissance, surtout depuis 2005, d’une littérature urbaine, à partir d’une littérature beur d’abord.

Il poursuit en explorant les relations entre cette «littérature urbaine» et le postcolonialisme, après avoir défini ou redéfini ce dernier : il le distingue du post-colonialisme. Le lecteur non averti pourra se perdre dans ces distinguos, il lui faudra donc comprendre que le premier «enchevêtre les temps et les territoires» alors que le second est caractérisé par une succession de ces temps (avant, pendant et après la colonisation), risquant ainsi de susciter des «guerres de mémoire». On précisera pour le premier qu’il concerne d’abord les descendants d’immigrés qui ont choisi d’écrire en tant que tels, soit de l’intérieur du milieu d’adoption de leurs parents. D’où une interrogation à laquelle Stève Puig répond «La littérature urbaine : une réponse postcoloniale», laquelle fait suite et répond à «la banlieue : une postcolonie interne ? ».

Il est également question de littérature postcoloniale féminine essentiellement maghrébine, et noire, ses problématiques récentes (son émergence, y-a-t-il une spécificité banlieusarde, comment est-elle traitée dans la littérature urbaine ?).

Dans sa conclusion, Stève Puig rappelle tout d’abord que «la littérature urbaine, mouvance littéraire ayant émergé à la suite des émeutes de l’automne 2005, permet à des écrivains issus des banlieues françaises de retranscrire en littérature les réalités d’un espace souvent absent du roman français contemporain». De fait, il y aurait fusion aboutissant à «un véritable laboratoire culturel» où, malgré la diversité des cultures initiales, il se produirait une sorte de fusion. Mais où rap et film dominent. D’où la difficulté à mesurer objectivement la portée de cette littérature urbaine. Mais l’implication des auteurs dans de nombreuses structures associatives font que «leurs revendications trouvent un écho auprès de générations nouvelles».

En environ 250 pages, Stève Puig réussit à dresser ce tableau d’une littérature émergente et selon lui prometteuse. Il faudra cependant à son lecteur de solides connaissances à propos du post-colonialisme, concept plutôt anglo-saxon, et une bonne connaissance d’ouvrages à diffusion pour le moment sans doute limitée. Il s’agit donc ici d’un essai que l’on souhaiterait voir l’auteur développer pour mieux situer cette branche naissante de littérature francophone dans une catégorisation plus explicite.

Il ne s’agit évidemment pas dans ces remarques de jugement négatif mais de la conviction que Stève Puig pourrait approfondir et développer.

L’appareil critique est à ce stade suffisant et de bonne qualité.