Les Prix 2021 de l'Académie des sciences d'outre-mer

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Prix Durand-Réville

récompense un ouvrage traitant des divers aspects de la colonisation  

CASTEJON, Philippe. Réformer l'empire espagnol : le système de gouvernement de José de Gálvez (1765-1787).

Presses Universitaires du Septentrion, 2020

Ecrit par Philippe Castéjon, maître de conférences en Civilisation et Histoire de l’Amérique Espagnole à l’époque moderne à l’université de Lille, ce livre touffu est une épopée d’érudition sur les étapes et les linéaments d’une réforme institutionnelle. Menée de 1765, soit peu après la fin de la Guerre de sept ans, jusqu’à 1787, date de la mort de l’homme de pouvoir que fut José de Galvez, cette recherche aborde une page d’histoire sous un angle d’une grande originalité. En se focalisant sur le déroulement des carrières et la mise en place de réseaux de confiance, l’auteur révèle les forces et les faiblesses d’une réforme tissée à partir de liens quasi anthropologiques ; il évite tout à la fois l’hagiographie et le risque d’interprétations claquées sur des philosophies du pouvoir trop proches de celles d’auteurs français, tels Montesquieu ou Rousseau.

 Elisabeth Dufourcq

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Prix Albert Bernard

récompense un auteur ayant traité de l'Afrique et plus particulièrement de la Corne de l'Afrique  

CAROTENUTO, Audrey. Esclaves et résistances à l'île Bourbon (1750-1848) : de la désobéissance ordinaire à la révolte.

Indes savantes, 2021

Docteure en histoire, Audrey Carotenuto a enseigné à l’université de Provence et à l’IUFM (aujourd’hui ESPE) d’Aix-Marseille. Elle est aujourd’hui professeure d’histoire-géographie dans le secondaire. En 2006, sa thèse sur les résistances à l’esclavage à l’île Bourbon a reçu le prix Mémoire de l’esclavage. Vingt ans après son arrivée à l’île de La Réunion, elle a repris son travail, en procédant à une mise à jour exemplaire. Le livre traite du dernier siècle de l’esclavage légal. Dans une société où la parole de l’esclave est étouffée, les archives judiciaires permettent à ce même esclave d’exister. À travers une rigoureuse étude quantitative, l’auteure interroge les spécificités des résistances serviles : entre préservation, rupture et agression, la résistance prend surtout la forme d’actions ordinaires et vise à limiter la coercition. De ce fait, les insurrections serviles récurrentes à l’histoire négrière n’ont rien à voir avec une résistance nationale.

Dominique Barjot

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Prix de la Renaissance française

récompense un auteur ayant mis en valeur la langue, la littérature françaises ou la culture francophone, en France ou à l'étranger  

BRUMTER, Christian.  Les Français en Inde 1914-1962 Histoire d’une décolonisation maîtrisée.

L’Harmattan, 2020

Il s’agit d’un ouvrage de 701 pages sur l’évolution des comptoirs français durant une période importante (1914-1962), sujet peu étudié sous tous ses aspects. Une préface de David Annoussamy, vient justifier les périodes choisies et souligner un travail assidu sur des archives essentiellement françaises. Après une introduction détaillée sur les comptoirs, les loges et les aldées, et sur ceux qu’on appelle les « renonçants », on trouve une suite chronologique de 4 parties pour 4 périodes, dans une progression parfaitement assurée : I - Grandeurs et faiblesses de l’Inde française 1914-1939 II - La Deuxième Guerre mondiale et l’Inde française III – Le réveil et le triomphe du nationalisme 1946-1953 IV – La mutation de l’Inde française (1954-1962). Ces parties sont subdivisées en 8 chapitres aux titres annonciateurs par un adjectif caractérisant à chaque fois l’Inde française : solidaire, assurée, ébranlée, tourmentée, déconcertée, résignée, soulagée et transformée. L’auteur fait référence aux événements historiques, en se penchant sur tous les éléments qui ont pu y contribuer, d’ordre politique, démographique, social, idéologique, religieux ou économique. On y voit les négociations, les accords, les évolutions et donc tout ce qui a pu contribuer à une « décolonisation maîtrisée ». La conclusion vient insister sur ce legs d’une présence française de quatre siècles. Y sont présentés des échanges et des accords qui ont suivi, où l’on découvre qu’on a « laissé du temps au temps », pour maintenir des relations positives et donc une bonne maîtrise de la décolonisation. Avec des annexes essentielles sur les personnalités françaises, anglaises, indiennes, une impressionnante liste des archives et une imposante bibliographie, ce document irremplaçable, au-delà d’une présentation historique, se révèle une base primordiale de renseignements et d’études potentielles.

Guy Lavorel

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Prix Paul Bourdarie

récompense une oeuvre littéraire ou artistique ou médicale ou sociale ou d'intérêt général ou scientifique valorisant les qualités d'un pays du continent africain 

LAURENT, Caroline. Rivage de la colère.

Les Escales, 2020

Dans cet émiettement d’iles éparses qui caractérise l’océan indien, l’archipel des Chagos, situé à 2500 km de l’ile Maurice, est le lieu où se situe le thème central du livre qu’est l’arrachement à une terre natale. Né à Diego Garcia, le jeune Joséphin Neymorin vit profondément cet arrachement et cette dépossession de sa terre ainsi que sa transformation en base militaire américaine. Quoi de plus étranger pour notre jeune héros que cette bannière étoilée. Caroline Laurent, elle-même franco-mauricienne, nous fait vivre de l’intérieur ce drame se déroulant entre 1967 et 1975. Dédié à tous les Chagossiens en exil, ce roman débute par un constat un peu amer « ce n’est pas grand-chose, l’espoir ».

Pierre Gény

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Prix Robert Cornevin

récompense un auteur ayant traité de l'histoire de l'Afrique  

COURREYE, Charlotte. L'Algérie des Oulémas : une histoire de l'Algérie contemporaine.

Editions de la Sorbonne, 2020

A partir de sources en langues arabe et française, complétées par un important travail de terrain, l’auteure de "L'Algérie des Oulémas" - arabisante, Docteur en histoire contemporaine - analyse, à travers une histoire sociale, le rôle de l'Association des Oulémas Musulmans Algériens (AOMA), créée en 1931, puis dissoute en 1962, et progressivement réactivée jusqu'en 1991 au début des "années noires" : - d'abord, à partir de 1931, durant la période coloniale, les activités éducatives et religieuses, caractéristiques de l'AOMA, - ensuite, son positionnement ambivalent pendant la guerre d’indépendance, conditionnant l'insertion de ses dirigeants dans l'Algérie post-coloniale, - enfin, malgré sa dissolution en 1962, l'action complexe poursuivie par ses membres, après l'indépendance, au sein des mouvements islamistes naissants durant la décennie 1980 ; certains des anciens cadres de l'AOMA participent au gouvernement du parti unique FLN, travaillant au sein de l'Education nationale ou œuvrant à construire les bases de l'Islam d'Etat, tandis que d'autres contestent publiquement le pouvoir socialiste au nom même de l'Islam. Les enjeux culturels, politiques, économiques et sociaux de l'AMOA, et de son héritage, y sont utilement replacés en relation avec l'évolution générale du monde arabe et du monde musulman durant la période très agitée de 1931 à 1991. Ce livre retrace des débats toujours d’actualité dans l'Algérie contemporaine.

Jean-Louis Oliver

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Prix Paul Bouteiller

récompense un ouvrage traitant de l'histoire ou de l'évolution récente d'un départemeent ou territoire d'outre-mer français ou d'un Etat appartenant à la liste suivante : Algérie, Sénégal, Congo-Brazzaville, Gabon, Tchad, République Centrafricaine, Cameroun, Djibouti, Comores, Vanuatu. 

ALILAT, Farid. Bouteflika, l'histoire secrète.

Rocher, 2020

Ce livre est le fruit d'une enquête minutieuse sur l'ancien Président Bouteflika, réalisée à travers de multiples entretiens avec des personnalités algériennes de premier plan. D'une lecture aisée, cet ouvrage à charge retrace le parcours tortueux d'un chef d'Etat qui n'a pas su ou voulu apporter les changements indispensables attendus par le peuple algérien. Choisi par les militaires pendant la guerre civile, il fut maintenu artificiellement au pouvoir par cette caste qui compta plus tard sur lui pour étouffer le mouvement du hirak. Diminué physiquement, affaibli politiquement, il fut éloigné de la magistrature suprême par ceux-là même qui l'y avaient installé.

 Marc Aicardi de Saint-Paul

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Prix Auguste Pavie

récompense un auteur ayant traité de l'Asie, de l'Indochine ou du Pacifique 

BARBANCON, Louis-José. Le mémorial du bagne calédonien.

Au vent des Iles, 2020

Le Mémorial du bagne calédonien constitue à la fois l’œuvre d’une vie et une magnifique démonstration des capacités de l’édition ultramarine. Son auteur, Louis-José Barbançon, est un historien de première valeur, auteur de L’Archipel des forçats. Histoire de la Nouvelle-Calédonie 1863-1931, Presses universitaires du Septentrion, Lille, 2003, ouvrage issu d’une thèse de doctorat soutenue en 2000, et du livre Le pays du Non-Dit, Malakoff, Humanis, 2019. Déjà honoré par le prix Popaï du livre océanien de Nouméa, le livre s’appuie sur une mobilisation impressionnante de documents issus des Archives de Nouvelle-Calédonie et d’Outre-mer, des Musées de Nouméa et maritime de Nouvelle-Calédonie, du Centre culturel Tjibaou et, même, des archives Padre Maristi à Rome. Servi par une iconographie exceptionnelle, l’ouvrage conte, dans toutes ses dimensions, l’histoire des quelques 22000 transportés, plus de 4000 déportés politiques issus pour la plupart de la Commune de Paris, des près de 4000 relégués, en majorité récidivistes de délits mineurs, et plus de 1000 femmes, qui ont débarqué, contre leur gré, à Nouméa. A côté des colons libres et des Canaques, ils ont construit la société calédonienne d’aujourd’hui. Héritier par le sang à la fois des forçats et des colons libres, l’auteur a procédé, à travers une démarche scientifique impeccable, à un exemplaire travail de mémoire.

Dominique Barjot

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Prix Maréchal Lyautey

Récompense un ouvrage traitant de l'Afrique du Nord, de l'Afrique subsaharienne ou de l'océan Indien. 

PENICAUD, Manoël. Louis Massignon – le « catholique musulman ».

Bayard, 2020

Trouvant ses fondements dans une thèse de doctorat, et bénéficiant de sources inédites, littéraires et iconographiques, l’ouvrage écrit par Manoël Pénicaud nous offre un portrait renouvelé d’un personnage complexe, aux mille facettes, et dont la vie a pris de nombreuses directions. Au-delà du scientifique et du grand spécialiste de l’islamologie, l’auteur cherche à décrire ce que fut la « courbe de vie » de Louis Massignon, ami de Charles de Foucauld, de Paul Claudel et de Jacques Maritain. Louis Massignon a été l’inventeur et le promoteur de « l’hospitalité interreligieuse », affirmant que « pour comprendre l’autre, il ne faut pas se l’annexer, mais devenir son hôte ». Cette philoxénie – amour de l’étranger – sonne particulièrement dans notre académie et fait écho à sa devise. L’auteur invite un public nouveau à redécouvrir en huit chapitres les huit facettes de la personnalité hors norme de Louis Massignon. L’Académie a choisi de récompenser cet ouvrage en lui attribuant le prix Louis Hubert Lyautey.

Hubert Loiseleur des Longchamps

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Prix Monsieur et Madame Louis Marin

récompense un auteur ayant traité des sciences humaines en général et particulièrement l'ethnologie, l'anthropologie et les relations entre les divers peuples du monde  

LEE, Ju-Ling. Imaginer l’indigène. La photographie coloniale à Taïwan (1895-1945).

Maisonneuve & Larose ; Hémisphères, 2020

Issu d’un travail de doctorat, le livre de Mme Lee Ju-Ling constitue une remarquable analyse du rôle rempli par la photographie dans la construction de l’imaginaire de l’Empire japonais qui, à l’instar des empires coloniaux européens, a mis l’image des peuples autochtones de Taïwan au service de sa domination sous couvert d’un dessein « civilisateur ». Les nombreuses photographies et cartes postales provenant de sources principalement japonaises et chinoises sont passées au crible de l’anthropologie et de l’histoire. Elles soulignent l’importance du contexte colonial dans le choix des sujets représentés : types humains, costumes et coutumes – y compris les coupeurs de tête – produits de l’artisanat, et l’inévitable mise en scène érotique des « sauvages ». L’ouvrage ne se limite pas aux processus de la fabrique de l’indigène, il interroge l’usage politique de l’image, tout en mettant en perspective la formation de l’identité de Taïwan, dans un contexte de relations complexes avec ses deux grands voisins, le Japon et la Chine.

Roland Pourtier

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Prix Robert Delavignette

récompense un auteur ayant traité de l'Amérique ou des Antilles  

JENNINGS, Eric. Les bateaux de l'espoir : Vichy, les réfugiés et la filière martiniquaise.

CNRS, 2020

Professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Toronto, Éric Jennings est l’un des meilleurs spécialistes de l’histoire coloniale française. Auteur notamment de Vichy sous les tropiques (Grasset, 2004) et de la France libre fut africaine (Perrin, 2014, prix des Ambassadeurs et prix Maryse Condé), il nous a livré récemment un ouvrage tout à fait original. Mobilisant une quantité et une variété assez exceptionnelle d’archives publics et privés tant françaises qu’étrangères (américaines, britanniques, néerlandaises), cet essai brillant reconstitue une histoire méconnue, mais exemplaire et riche de portée pour l’avenir. En effet, entre la débâcle de mai-juin 1940 et mai 1941, environ 5000 hommes gagnèrent La Martinique, à bord de cargos, pour échapper à la menace nazie et à la politique vichyste : parmi eux, une forte proportion de juifs, de républicains espagnols et de socialistes antinazis ainsi que des personnalités aussi diverses qu’André Breton, Claude Lévi-Strauss, Victor Serge ou Anne Seghers. Comme le montre l’auteur, tout en resserrant son étau sur la zone sud, Vichy tenta aussi, pour des motifs ambigus, de faciliter l’émigration de ces réfugiés de toutes origines. Même si l’objectif de ces derniers étaient les États-Unis ou le Canada, l’expérience de La Martinique fut à l’origine d’un dialogue intellectuel particulièrement fructueux : ainsi, autour de la revue Tropiques entre Breton, André Masson et les Césaire.

Dominique Barjot

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Prix d'Encouragement à la recherche de la Société des Amis

récompense des mémoires universitaires, thèses ou travaux postdoctoraux soutenus ou publiés l'année en cours ou l'année précédente  

GONG, Tianhui. La question indochinoise entre la France et la République populaire de Chine de 1954 à 1964. Thèse de doctorat en histoire de Sorbonne Université, dir. D. Barjot et O. Forcade.

Thèse soutenue le 6 juillet 2021

Formée à l’Université de Harbin (Heilongjiang, Chine), puis à la Renmin University of China (Suzhou, Jiangsu, Chine), enfin à Sorbonne Université, Tianhui Gong est une chercheuse brillante et travailleuse. Soutenue devant un jury composé de Dominique Barjot, directeur, et Olivier Forcade, co-directeur (Sorbonne Université), Lina Guo, rapporteure (Université Sun Yat-sen de Guangzhou, Guangdong, Chine), Jean-François Klein, président (université de Bretagne-Sud), Céline Marangé (Service historique de la Défense) et Frédéric Turpin, rapporteur (Université de Savoie Mont-Blanc), sa thèse apparaît particulièrement novatrice, parce que fondée sur le croisement systématique des archives françaises, chinoise et, pour partie, soviétiques traduites en chinois d’une part, américaines de l’autre. Organisée en trois parties chronologiques (conférence de Genève en 1954, 1954-58 et 1959-64), cette thèse débouche sur des résultats scientifiques robustes : entre 1954 et 1964, l’Indochine occupe une part importante dans la stratégie de la Chine, les relations entre les deux pays butent sur des limites évidentes (OTASE, collaboration avec le Sud-Vietnam, le Laos et le Cambodge), mais ont été réelles, surtout avec le général de Gaulle, la France ne jouant de rôle effectif qu’au Cambodge et, dans une mesure moindre, au Laos. Ces résultats scientifiques méritent totalement publication.

Dominique Barjot

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Mention Spéciale

 

Léon Gavet, je vous écris des Samoa, un demi-siècle de correspondance inédite de la lointaine Océanie, lettres établies par Mireille Dodart-de l’Hermuzière, préface de Serge Tcherkézoff.

Editions du Volcan, 2021

En 1858, Léon Gavet, père mariste, quitta l’Ardèche pour les Samoa et écrivit deux cent lettres à sa famille. Mme Dodart de L'Hermuziere - Léon Gavet est le cousin germain de son arrière-grand-mère - a donc pu entreprendre cette publication grâce aux archives familiales. Comme le souligne le préfacier Serge Tcherkézoff « la politique coloniale […] est intimement liée à la propagation des missions, d’où l’importance pour tout historien de lire aussi les écrits des missionnaires de l’époque et, parmi eux […], le père Léon Gavet ». La reproduction systématique des lettres est suivie du récit de la mort de Léon Gavet, de repères historiques et d’une généalogie de la famille Brethon-Gavet. Il est illustré de photographies. Grâce, notamment, aux nombreuses observations à caractère ethnographique de la culture samoane, ces archives familiales permettront indéniablement aux chercheurs de mieux comprendre « les relations nouées entre missionnaires et missionnés dans l’ère océanienne du XIXe et début XXe siècle » pour reprendre les mots du Professeur Essertel dans sa recension.

Marie-Laure Bretin

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